Mon père et la marche

Mon père aura marché toute sa vie : au catéchisme, à l’école, au moulin à scie de son père, sans compter sa marche sur la voie ferrée de Morin-Heights à Monfort, ce qui lui a permis de rencontrer Marie-Rose, qui allait devenir sa femme en 1933. Et, ses allées et venues entre la maison de Mont-Rolland et le barrage, qu’il a construit de ses mains en 1942, pour aller ouvrir l’eau, et, après avoir travaillé quelques heures, y remonter pour fermer l’eau cette fois. 

Déménagé à Sainte-Adèle, il en arpentera tous les recoins, dès potron-minet*.

Direction : les écuries du Chanteclerc. Toute une trotte puisqu’il habite chemin Notre-Dame, juste en face de l’ancien couvent des dames de la Congrégation, maintenant une RPA. Il n’oublie jamais d’arrêter saluer M. Desjardins, le boulanger du Vieux-Four, qui lui offre le café et parfois une brioche aux raisins bien chaude. 

Autre direction, le pit de sable presque au bout du chemin Notre-Dame, traversée sur un petit pont où la Doncaster et la rivière du Nord ne font plus qu’une, et retour par l’ancienne voie ferrée du P’tit train du Nord. Salutations à d’anciens compatriotes de Mont-Rolland et retour à Sainte-Adèle, « par en arrière ». Il n’a jamais aimé le boulevard. Trop bruyant; il n’y entend pas les tourterelles tristes qui le saluent au passage quand il emprunte un sentier qui le ramène chez lui.

Un matin d’avril 2004, il ne revient pas à la maison. Il n’est pas en promenade, mais à la messe, où il s’est effondré. 

À partir de là, et pour l’année et demie qui a suivi, sa vie n’a plus de couleur ni d’odeur. Hospitalisé à Saint-Jérôme, pour son malheur, puis transféré dans une résidence à Montréal, il doit se contenter de marcher dans le petit parc au coin de Saint-Laurent et de Saint-Joseph, tous les jours, appuyé au bras de l’un de ses fils ou d’un ami de son fils. 

Il ne reverra jamais Marie-Rose, sa femme, à cause d’une épidémie de la bactérie C. difficile. Elle l’attrapera elle aussi et mourra dans des circonstances inhumaines à l’urgence de l’hôpital Fleury, qui la considérera comme une « vieille » de 97 ans, qui n’est bonne qu’à mourir, en août 2004.

Je me trompe… Il a revu Marie-Rose dans son cercueil, à Sainte-Adèle, le jour de ses funérailles. Il lui a tenu la main tout en récitant un Notre Père et un Je vous salue Marie pour le repos de son âme. 

Le soir, il dira à une préposée : « Ma femme est morte. Heureusement, il me reste mes gars. »

*Une expression qu’il n’a jamais utilisée, mais que son fils emploie à cause de son amour immodéré des chats.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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2 Responses to Mon père et la marche

  1. Avatar de Pierre Simoneau Pierre Simoneau dit :

    Très touchant. Merci

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