Soixante-cinq ans!

Il paraît que j’ai la vocation religieuse. Personne ne m’a demandé ce que j’en pensais. Je n’ai que onze ans après tout. En 1959, on ne demande pas son avis à un enfant, même si cela implique le reste de sa vie. 

Ma mère pleure. De tristesse ? Son p’tit gars qu’elle a sauvé de la mort à deux reprises la quittera pour faire sa vie ailleurs. De joie ? Un enfant religieux est une bénédiction; en 1959, on s’entend là-dessus. De fierté ? Un religieux dans la famille, cela lui donne une certaine aura…

Le frère recruteur repart, heureux de son coup. Une autre prise dans son filet de pêcheur d’hommes. Pierre chantera la gloire de la Vierge Marie avec les fils spirituels de Marcellin Champagnat, le fondateur de la communauté. Il se consacrera à Dieu après s’être défait du « vieil homme » (lire : ce qu’il est) pour revêtir l’homme nouveau (pas le nietzschéen, on s’en doute, mais celui de saint Paul) « dans une justice et une sainteté véritable ».

Qu’est-ce qui m’attend ? L’inconnu. Est-ce que j’ai peur ? Un peu. Est-ce que j’ai vraiment envie de partir de la maison ? Non. Est-ce que je suis content de faire mon cours classique ? Oh, oui ! Je suis encore jeune, mais je ne me projette pas du tout dans la cour à bois d’un moulin à scie, à corder de la croûte et du bois de chauffage. Suis-je confus ? L’avenir est trop incertain pour que je le sois. 

***

L’été passe en activités de préparatifs à mon grand départ. Mickey, mon chien, se sent délaissé. Le train jusqu’à Montréal, un trolley bus jusqu’à la rue Sainte-Catherine, une marche de Park Avenue jusque chez Eaton. Ma mère encourage peu monsieur Goodman, le marchand local. Elle trouve qu’il vend cher et que la qualité laisse à désirer. Morgan, Eaton, Dupuis Frères, on ne se trompe pas. Pas question que le blazer et le pantalon gris de son fils aient l’air de sortir d’on ne sait où ! 

Quand mon père lui fait remarquer que la longue liste d’effets divers pour mon entrée au juvénat coûtera cher, elle lui répond, du tac au tac : « T’avais juste à pas signer. Personne ne m’a demandé mon avis. C’était ta signature qu’il voulait; la mienne ne comptait pas. » Ma mère a le sens de la répartie… dans ses bons jours. Comme elle est sujette à la migraine et de surcroît souvent dépressive, il y a aussi des silences et des pleurs au lieu de mots que l’on aurait dits sculptés avec les ciseaux de Zénon Alarie, l’artiste de Mont-Rolland, voisin de madame Monty, une amie de ma mère. 

(suite à venir)

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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2 Responses to Soixante-cinq ans!

  1. Avatar de DC DC dit :

    Je lis bout à boujt et j’aime. Je souffre avec toi par moment mon bel ami.

    • Avatar de pgue pgue dit :

      Merci, chère Diane. Comme tu vois, malgré les années, je suis incapable d’oublier. J’ai fait la paix, mais… ça gratouille encore.

      Pierre

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