Réflexion, un jour gris de mars

Un extrait d’une critique de livre (Christian Bérard, Excentrique bébé) résonne en moi:

«Il sort beaucoup et dans son carnet d’adresses se retrouvent les noms de Jean Cocteau, Marie-Laure de Noailles et Louise de Vilmorin [qui tenaient toutes deux salon], Diana Cooper, Cecil Beaton et… Gabrielle Chanel qui sera l’une de ses plus intimes. Peut-être parce qu’elle partageait ce fond de mélancolie profonde qui les rend l’un et l’autre inaptes au bonheur.»

Le mot n’a aucun rapport avec les sorties de Bérard et encore moins avec son carnet d’adresses. Mais, sa mélancolie me touche. La mienne m’a façonné et accompagné tout au long de ma vie.

Parfois douce et onctueuse, la mélancolie me fera me connaître et me reconnaître dans les Romantiques, qui me toucheront tellement quand je les découvrirai à quinze ou seize ans, en Belles-Lettres. Musset me jettera par terre:

«Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres imparfaits et si affreux. On est souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière; et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.»

*

Je cite de mémoire cette réplique de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour. Je l’ai tellement savourée et goûtée, il y a si longtemps, quand je la disais à mon amie Lorraine.

Tu nous as quittés, Lorraine, sans que nous puissions te dire au revoir. Tu as été ma merveilleuse Camille. Tu feras toujours partie de ma douce mélancolie.

*

Parfois, ma mélancolie se fera violente, salope même. Elle me fera penser en noir — ça allait bien avec la couleur de ma soutane — et flirter avec l’idée de la mort. Aux yeux de mes supérieurs, je souffrais de «délectation morose». Ils me la feront combattre à coups de mortifications, de jeûnes et de coulpes, mais jamais d’écoute et d’empathie. La mélancolie était une perversion sur le chemin de la sainteté. Et ne me fallait-il pas oublier qui j’étais pour «revêtir l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritable»?

Un siècle plus tard — façon de parler, on aura compris —, ma mélancolie est toujours là, heureuse ou malheureuse, mais fidèle… ce qui n’a pas toujours été le cas de ceux qui me l’ont reprochée. Elle les rendait mal à l’aise, paraît-il. Et leur optimisme, le croyaient-ils supportable à mes yeux? Pourtant, j’ai fait avec; j’ai compris qu’il les avait façonnés ou qu’ils s’y étaient accrochés pour mieux supporter leur vie, leur réalité, et qui sait, leur propre mélancolie.

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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2 Responses to Réflexion, un jour gris de mars

  1. Avatar de Lise Guénette Lise Guénette dit :

    Je te souhaite pour les années (j’espère nombreuses encore) qui te reste, de connaître des bonheurs quotidiens, de la tendresse, et j’oublie l’amitié car je te crois bien entouré de ce côté. Malgré ce que tu as vécu la vie peut être belle encore. 🥰 Ta cousine

    Envoyé de mon iPad

    >

    • Avatar de pgue pgue dit :

      Merci, cousine. Tes mots me font grand bien. Au contraire de plusieurs personnes que je connais, le passé m’habite. Il m’a fait tel que je suis. Ces mêmes personnes me disent qu’il n’y a que le présent qui compte. Je veux bien, mais mon passé est lourdement inscrit dans mon présent. J’ai appris à vivre avec. Parfois, un article de journal ou de magazine me précipite dans un voyage dans le temps. Curieusement, j’utilise le vert pour écrire, le vert étant le couleur de l’espérance… Pierre

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