Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mère, Marie-Rose Poitras.
Née en 1907 à L’Anse-à-Gilles, elle suit les traces de sa sœur Alice, et devient « maîtresse d’école », comme on disait alors. Après une année de maladie, sans poste d’enseignante à son retour sur le marché du travail dans son coin de pays, elle répond à une annonce de la municipalité de Montfort dans L’Action catholique, sans savoir vraiment où cela se trouve. Trois trajets de train plus tard et des centaines de kilomètres plus loin, elle arrive dans ce pauvre village des Laurentides, au nord de Saint-Sauveur et de Morin-Heights, fin août 1930. Elle découvre, selon ses mots, « qu’il n’y a que du bois, pas d’eau », elle qui avait été élevée sur une ferme au bord du fleuve. Bien décidée à repartir chez elle dès le train du lendemain, elle rate celui-ci, et se retrouve « prisonnière » de son école de rang.
Elle se fait des amies, des dames irlandaises pour la plupart, chez qui elle prend le thé et avec qui elle apprend l’anglais, qu’elle parlera avec l’accent irlandais jusqu’à la fin de sa vie. Elle se lie d’amitié avec les pères monfortains qui ont fondé, dans ce lieu éloigné de tout, un orphelinat. Elle se fiance à Ernest O’Connor, un habitant du coin. La mère de celui-ci, qui ne voit pas d’un bon œil que son fils épouse une French Canadian, fait en sorte que les fiançailles soient rompues. Cruelle déception pour Marie-Rose qui commençait à trouver quelques qualités à ce paradis des maringouins et de la mouche noire que sont les Laurentides.
Elle rencontre Marc Guénette, un Vendredi saint, « sur la track », alors que tous les deux empruntent ce raccourci pour se rendre à l’orphelinat pour y faire leurs pâques. Un an plus tard, on lui confie l’école de Morin-Heights. L’année scolaire est pénible, car une tante de Marc, avec qui Marie-Rose s’est fiancée, lui fait la vie dure. La mégère n’a aucune confiance dans cette étrangère qui vient d’en bas de Québec. Marie-Rose doit se défendre devant la commission scolaire. Elle a finalement gain de cause. Mais la guerre n’est pas finie pour autant. Quand Marc et Marie-Rose annoncent leur mariage prochain, la même tante remonte aux barricades. La maîtresse d’école ne peut pas être mariée. Imaginez le scandale si, un beau matin, elle se présentait devant ses classes — elles étaient multiples, à l’époque —, avec des rondeurs laissant présager une naissance!
Marie-Rose se marie et devient donc femme au foyer. Les années passent… et elle ne « tombe » pas enceinte. La matante acariâtre et belliqueuse répand alors fielleusement la rumeur que l’ancienne maîtresse d’école « empêche » la famille. Le curé de Saint-Sauveur lui refuse l’absolution au confessionnal. On la montre du doigt.
Finalement, six ans après s’être mariée, et quelques mois après avoir subi une intervention chirurgicale, Marie-Rose est enfin enceinte. Quand mon frère Raymond vient au monde, c’est une sœur de mon père qui prend le relais de sa tante dans le mépris de l’étrangère. La situation perdurera. Les deux belles-sœurs seront polies quand elles se rencontreront, mais jamais elles ne se visiteront.
Je garderai toujours de ma mère le souvenir d’une femme courageuse, au caractère bien trempé, il est vrai, et d’une mère aimante. Grâce à elle, mon frère et moi avons eu l’immense chance de faire des études et, surtout, de faire ce que nous aimions dans la vie. Elle nous a permis de réaliser nos rêves.
Un beau jour — il est mieux d’arriver vite, car j’avance en âge —, je tiendrai la promesse que j’ai faite à mes parents avant qu’ils meurent de raconter leur histoire.
En effet, Pierre, quel courage !