Spleen et autres délectations

Dans l’univers religieux où j’ai été élevé, ma plus que tendance au romantisme s’appelait la «délectation morose». Si elle était encouragée par le sujet qui en souffrait, autrement dit si celui-ci s’y complaisait, c’était un péché envers la foi et l’espérance. L’âme risquait de s’y perdre à tout jamais et de ne jamais entrer au paradis.

Plus tard, en découvrant Baudelaire particulièrement, je découvris que si souffrance il y avait chez moi, elle était causée par le spleen, cette «mélancolie sans raison apparente», comme le définit le dictionnaire, même si, chez moi, il y avait plus qu’apparence de raison. Les années passèrent, plus ou moins grisâtres, plus ou moins ensoleillées. En temps ordinaire, cette mélancolie m’était plutôt douce. C’est elle qui me fit découvrir les joies de la solitude assumée et celles de l’écriture qui exige une certaine solitude. Sans cette douce mélancolie, je n’aurais jamais créé ce que je considère comme la chose la plus accomplie de ma vie d’auteur: un drame romantique sur la vie de Laure Conan, intitulé Un visage dans mon rêve, pièce inédite, et qui le restera sans doute. La mélancolie me fit aussi vivre les affres de la dépression et flirté parfois avec l’idée d’une fin que je pourrais précipiter. J’aborde maintenant the last sprint avant le dernier abandon. Cela, je le sens et je le sais depuis que j’ai été malade — le mot «rémission» n’ayant pas encore retenti à mon oreille pour me redonner un semblant d’espoir.

Y a-t-il un lien? Je ne sais pas. Mais me revient en mémoire mon premier rêve, le premier du moins dont je me souvienne. Je devais avoir quatre ou cinq ans. Peut-être même moins. C’était un 24 décembre. Ma mère m’avait couché durant la soirée; elle ne voulait pas m’entendre pleurnicher pendant la messe de minuit.

Extérieur nuit, vide sidéral. J’y dérive, j’y suis abandonné, j’y suis perdu. Je ne me vois pas,  je me sens dériver, abandonné et perdu. J’en ai la pleine conscience. Et je me réveille en hurlant, étouffé, au bout de mon souffle.

Avais-je ainsi revécu ma naissance?

Ma mère me raconta, quelques années plus tard, qu’on m’avait brusquement retiré de son ventre, car son âge et la condition de son cœur ne lui permettaient pas de me faire entrer en ce monde par la voie royale. J’étais passé — je ne mourais pas subitement, je venais subitement au monde — du cocon chaleureux où elle m’avait porté à la froideur d’une salle d’opération. Présentant de sérieuses difficultés respiratoires, on m’avait sauvé in extremis. Je fus même ondoyé par une religieuse infirmière, qui assistait le docteur Magnan, grand ordonnateur du rituel de ma précipitation dans le monde. Au moins, si je trépassais, j’irais directement au ciel, évitant ainsi une éternité dans les limbes, où allaient les bébés non baptisés.

Ce sentiment d’exil, ne ne pas appartenir au «bon» monde, de ne pas y avoir ma place, je le porte encore. Qui sait? Peut-être qu’à l’autre bout de ce qu’on appelle la vie, je  retrouverai ce paradis d’éternité d’où je fus chassé.

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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1 Response to Spleen et autres délectations

  1. Avatar de Marielle Marielle dit :

    J’aimerais bien lire cette pièce.

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