Chapitre 8, 3e partie

Aparté

Maxime aimait Le reel du pendu, joué par Isidore Soucy. Pour Marie-Rose, c’était Parlez-moi d’amour, chanté par Lucienne Boyer.

Plus tard, il aimera le Soldat Lebrun, Willie Lamonthe et Rita Germain. Pour sa part, elle soupirera en écoutant Aimé Major. 

Leurs goûts musicaux pourraient laisser présager qu’un certain fossé se creuserait entre eux. Pourtant, ils vieillirent ensemble. La seule émission de télévision qui les réunira dans une même ferveur sera Soirée canadienne

Les années passeront, et le 1er juillet de chacune d’elles, leurs fils souligneront leur anniversaire de mariage. 

En 2004, pour leur 71e anniversaire, ils devront les fêter séparément, pour cause d’hospitalisation. 

Le midi avec leur mère, à l’hôpital Marie-Clarac, où elle tentait bravement, malgré le poids de ses 97 ans, de reconquérir une certaine autonomie après une opération pour une fracture de la hanche. 

Le soir, avec leur père, à l’Hôtel-Dieu de Montréal, où il se battait, lui aussi bravement à 95 ans, contre la bactérie C difficile, très à la mode cette année-là. Il passa même outre à la diète sévère qui lui était imposée et mangea avec un bel appétit sa part de gâteau d’anniversaire.

Leur surdité les empêchant de se parler au téléphone, leurs fils se firent leurs messagers, chaque jour leur apportant les nouvelles de l’un à l’autre.

Ils mourront sans jamais se revoir.

Ils s’étaient unis devant Dieu et devant les hommes, un 1er juillet pluvieux. Au moins, le jour de leur inhumation à Saint-Sauveur – le 25 août 2004, pour elle; le 21 décembre 2005, pour lui – le soleil brillait.

Ne nous arrêtons pas sur la triste fin de cet aparté. Le chapitre suivant fera revivre Marie-Rose et Maxime, nouveaux mariés. Et nous connaîtrons un peu mieux la famille de Marie-Rose.

Une grande aventure les attend. L’aventure d’une longue vie.

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Chapitre 8, 2e partie

Léondina pleure encore et encore. Son grand garçon, son deuxième réchappé, se marie ! Et tout son clan est là avec elle, à commencer par Anne-Marie qui n’en finit plus de lui essuyer les yeux avec le petit mouchoir brodé qu’elle a reçu de Marie-Rose lors de son anniversaire. 

Après avoir fait la monition habituelle aux mariés, le curé se gourme et demande ensuite : 

— Maxime Guénette, est-ce que vous acceptez de prendre pour épouse Marie-Rose Poitras, ici présente ? Promettez-vous de lui rester fidèle dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour tous les jours de votre vie ?

Léondina s’arrête net de pleurer. Elle ne sait pas de quoi il s’agit, mais elle est certaine que quelque chose cloche… La pauvre, elle sera dérangée par ce « quelque chose » tout au long de la cérémonie, et même plus tard.

L’assemblée ne s’en rend pas compte, mais Marie-Rose a un petit mouvement de recul en entendant le curé prononcer les mots « obéissance à son mari ». Heureusement, elle se ravise au moment d’articuler le « oui » l’unissant pour la vie à Maxime, qui lui passe ensuite une alliance au doigt. Le curé conclut qu’ils sont désormais mari et femme. Signature du registre. Place à la messe.

Saut dans le temps – 1er juillet 1983

Comme l’usage de l’époque ne prévoyait pas que l’épousée passe une alliance au doigt de son mari, Marie-Rose se reprend le jour de leurs noces d’or en lui offrant un jonc. Au même moment – ça ne s’invente pas – Georges Guétary chante Cet anneau d’or dans les haut-parleurs du restaurant La Vieille ferme, à Saint-Sauveur, où leurs fils ont invités leurs parents. Marie-Rose, d’habitude réservée sur les larmes, se permet d’en verser quelques-unes. 

Retour à 1933

Après la messe de mariage, tout le monde affronte à nouveau la pluie. Édouard a avancé son auto le plus près possible du perron de l’église. Les mariés s’y engouffrent sous le dais improvisé des parapluies de madame Jamieson et de madame Bouchard.

— Mon doux Seigneur, s’exclame M en se signant, envoyez-nous pas un autre déluge. On n’a pas de bateau comme Noé, nous autres !

Malheureusement, personne ne remarque sa connaissance de l’Histoire sainte. En effet, on s’affaire. On ouvre les parapluies. On court vers les voitures. Les plus jeunes s’amusent à sauter dans les flaques d’eau, vitement ramenés à l’ordre par leurs mères qui leur ont acheté des souliers neufs pour l’occasion.

Malgré le mauvais temps, un cortège se forme et accompagne les mariés jusqu’au repas de noces chez Philias et Léondina. De mémoire de vieux, il n’a jamais autant mouillé sur Morin-Heights que ce 1er juillet 1933.

Il n’existe aucune photo du mariage de Maxime et de Marie-Rose. Aucun souvenir non plus, si ce n’est une liste des invités. 

***

Heureusement pour Léondina, le repas de noces qu’elle a préparé avec ses filles lui change les idées; elle parvient à oublier, pour un temps, le « quelque chose » qui la turlupine. Elles ont travaillé fort, Simone, Flore, Gaby, Gabrielle, la femme de Léo, et même Anne-Marie et Marielle qui ont plus d’une fois risqué d’être ébouillantées, ou enfournées en même temps que les tartes et les gâteaux. 

Il était évident que la noce ne pouvait pas se tenir chez les parents de la mariée… Voyez-vous ça, un cortège nuptial de Saint-Sauveur à L’Anse-à-Gilles ! Quelques semaines auparavant, Marie-Rose a remis à Léondina une enveloppe. Léondina l’a ouverte : 

— Mon père m’a envoyé ça par la malle. C’est pour payer la noce, lui a dit Marie-Rose. C’est la coutume.

Léondina ne l’a pas écoutée et encore moins pris le temps de compter l’argent dans l’enveloppe : 

— Il n’en est pas question ! Il sera pas dit que, moi, Léondina Lorion, je vais faire payer sa noce à ma future belle-fille. Je suis certaine que Philias pense comme moi. Si ça a du bon sens, des idées de même !

Marie-Rose insiste. Léondina refuse toujours.

Il faudra que Gaby et Anne-Marie s’en mêlent pour que leur mère finisse par accepter. 

— Marie-Rose, vous remercierez votre père. Je vous promets de vous préparer le meilleur repas de noces. Ça sera peut-être pas les mêmes recettes que par chez vous, mais on en a des pas pires par icitte.

***

À n’en pas douter, Léondina et ses filles se sont surpassées dans la préparation du repas. Monsieur le curé a dit quelques mots. Les verres ont tinté; les mariés se sont embrassés. 

Après le repas, ils ont ouvert la danse. Marie-Rose a sûrement demandé à Dieu de lui pardonner ce manquement à sa promesse et repoussé l’idée qu’une crise de rhumatisme inflammatoire lui tombe dessus juste à ce moment, en guise de punition divine. On ne sait jamais. Dieu a parfois de ces fureurs !

L’alcool a coulé à flots… mais Philias a veillé à ce que personne, surtout ses garçons, n’agisse de façon déplacée. Il est sévère là-dessus. Léondina a servi son vin de cerises aux femmes. C’est plus doux pour leur gosier que le caribou et le whisky de son mari. 

Comme le soir tombe tard en juillet, la noce a duré, et on a même mangé les restants du dîner. Après, on a conduit les nouveaux mariés à leur nouvelle maison, non loin de l’école où Marie-Rose a enseigné.

***

Ce soir-là, après la prière du soir récitée avec Philias, chacun de son côté du lit, juste au moment où elle fermait les yeux, le « quelque chose » ressenti au mariage a repris du service dans l’esprit de Léondina. Elle se remémore la cérémonie, la revoit dans les moindres détails à travers un rideau de larmes, mais elle ne trouve pas. Elle s’endort finalement au son des ronflements de Philias, qui lui rappellent en moins beau les premières notes de la marche nuptiale.

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Chapitre 8

« Une cloche sonne, sonne… »

Pauvre Maxime, y est pas chanceux ! pense Léondina en refermant le rideau d’un geste plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu.

***

— My dear Marie-Rose, you are not lucky ! dit madame Smith en lui servant son thé matinal ainsi qu’à son frère Édouard, qui est arrivé la veille. Marie-Rose a eu beau suspendre son chapelet à la corde à linge – un geste que madame Smith, anglicane de son état, a trouvé bizarre –, le ciel ne l’a pas entendue. Édouard essaye de remonter le moral à sa sœur, mais, comme leur père, elle n’a jamais été douée pour l’optimisme. 

***

Que se passe-t-il donc, ce 1er juillet 1933 ?

Il tombe des cordes. 

Il pleut à boire debout. 

Y mouille à siaux ! 

Cela, on le sait, mais encore ?

C’est en ce jour à pleurer – c’est le cas de le dire – que Maxime et Marie-Rose se marient à l’église de Saint-Sauveur. Les bans ont été publiés et personne ne s’est opposé à leur union. 

— Ça aurait ben été le boutte ! 

Marie-Rose réfléchit tout haut en revêtant la belle robe que madame Savaria, sa grande amie de Montfort, lui a confectionnée. Madame Smith, qui l’aide, n’ose pas lui demander de traduire sa réflexion. 

Marie-Rose se regarde dans le miroir… Ce qu’elle voit lui remonte le moral pour quelques minutes : elle se trouve belle, élégante, ravissante même. 

— C’est peut-être un péché d’orgueil, mais si une mariée peut pas se trouver belle, le jour de son mariage, c’est que quelque chose fonctionne pas dans le grand catalogue des péchés. 

Marie-Rose a encore pensé tout haut. Nouveau regard interrogatif de madame Smith, qui ne demande toujours pas une traduction.

Marie-Rose ne prend que sa part de crédit, laissant l’autre au doigté fabuleux de madame Savaria. Quand madame Smith pose le voile sur sa tête, Marie-Rose éclate en sanglots. C’est trop beau ! Elle se trouve trop belle !

***

Digression sur les promesses faites au Ciel

Heureusement, à cette époque, la mode du maquillage ne s’était pas encore trop répandue chez les femmes… ordinaires, disons. Elles laissaient cela aux vedettes de cinéma et de la chanson. Même que… une femme qui se maquillait, c’était parfois mal vu. Et cela déclenchait la machine à rumeurs. 

M – celle que l’on ne nomme plus dans cette histoire –, avait, pas plus tard que quelques semaines auparavant, effacer le rouge que sa fille, pourtant si réservée, avait osé mettre sur ses lèvres. 

— Y s’ra pas dit que ma fille va avoir l’air d’une guidoune !

Quant à Marie-Rose, parfois pieuse à l’excès, elle avait promis – elle ne se rappelle plus quand, pour quoi et pour combien de temps – de ne pas mettre de rouge à lèvres. Elle sera délivrée de sa promesse, des années plus tard, grâce à un confesseur compréhensif. Mais elle se contentera du rouge à lèvres, parfois d’un peu de fard à joues, sans en abuser.  

Hélas, ce n’était pas tout : elle avait aussi promis de ne jamais danser si elle guérissait du rhumatisme inflammatoire qui l’avait rendue presque handicapée, quelques années auparavant. Pour son bonheur – ou son malheur, car elle adorait danser –, elle avait été guérie un an plus tard. Depuis, elle se contentait de taper du pied pendant que le calleur s’époumonait et que les danseurs virevoltaient sur les sets carrés et autres quadrilles.

Depuis quelques jours, cette dernière promesse la chiffonnait. Elle ne pouvait tout de même pas refuser d’ouvrir la danse, le jour de ses noces. D’autant plus qu’elle avait appris par Léondina que Gabrielle, la sœur de Maxime et amie de Marie-Rose, avait enseigné quelques pas de valse à son frère pour le grand jour. 

D’habitude, dans les soirées dansantes, Maxime jouait du violon. Son père lui en avait montré les rudiments quand il était encore enfant ou presque. Raymond et Pierre, ses fils, ne l’apprendront que quelques semaines avant son décès, en 2005. Ils se souviendront alors d’un vieux violon « écordé » et d’un morceau d’arcanson, trouvés dans le grenier de la maison de Mont-Rolland au moment du déménagement de leurs parents en 1972.

Comme Marie-Rose était forte sur les promesses, elle en avait fait une autre pendant une solide indigestion : ne plus jamais manger de chocolat. Elle y sera fidèle jusqu’à la fin de sa vie, achetant alors du sucre à la crème sans noix chez Marie-Claude, à Sainte-Adèle, plutôt que les savoureux chocolats que son mari dégustait au moins trois fois par jour sous son nez. 

***

Marie-Rose sort de la maison de madame Smith tout enrobée de beauté et de sent-bon. Ses sœurs Alice et Germaine lui ont en effet offert une bouteille de parfum pour ses fiançailles… qui, finalement, n’ont pas eu lieu. Au moins, le parfum ne fait pas partie des sanctions qu’elle s’était imposées. Une goutte derrière l’oreille; une à la saignée du bras et une autre au poignet. Pas trop ! Le parfum, c’est comme le maquillage, ça fait jaser. Il lui vient tout à coup à l’esprit que M sera à la noce ! Vite, vite, elle chasse cette mauvaise pensée, pire que les vraies qui, elles, pouvaient parfois avoir quelque chose d’agréable… 

Édouard a disposé des planches de bois en guise de trottoir jusqu’à l’auto. Madame Smith suit Marie-Rose et tient sa robe relevée, décemment tout de même. Son anglicanisme ne fait pas d’elle une dévergondée. La future mariée avance à petits pas dans ses beaux souliers blancs satinés. Deux amies – madame Jamieson et madame Bouchard – pataugent dans la boue en bottes à jambe, tenant chacune un parapluie au-dessus de Marie-Rose. Elles sourient malgré le malheur qui leur tombe dessus en trombes d’eau poussées par le vent.

Marie-Rose monte enfin dans l’auto de son frère. Les deux amies et madame Smith rentrent vite chez elles pour se faire belles. Leur amie Marie-Rose se marie; c’est un grand jour ! Mouillé, mais grandiose !

***

Maxime a revêtu son habit de noces. Léondina et Gabrielle l’ont aidé.

— T’es beau, Maxime, lui dit la petite Anne-Marie, en entrant dans la chambre. 

— C’est pas de sa faute, souligne Léondina, le ton sévère, mais le sourire aux lèvres. 

Quelques semaines auparavant, Maxime lui a dit : 

— J’en ai un habit.

Cette fois, Léondina a failli se fâcher. 

— Tu veux nous faire honte, à ton père et à moi.

Elle pense tout à coup que son gars est pas mal comme son père… Ce dernier n’aurait pas honte de voir son fils dans son vieil habit acheté pour les noces de Flora, sept ans auparavant. Il aurait probablement dit, après avoir tiré sur sa pipe : 

— Vieille viande ! Quossa fait ?

Léondina « a fait un maître » d’elle-même et a traîné Maxime à Montréal. Elle connaît un grand magasin où il trouvera un bel habit de noces. Elle veut être fière de son gars quand il entrera dans l’église, Philias à ses côtés – lui aussi, elle l’a entrepris pour qu’il renouvelle sa garde-robe. 

— Tu te trouves pas beau d’même, mon Maxime ?

— Ben oui, moman. 

Léondina sent que le cœur n’y est pas. Et elle ne se trompe pas : son fils, comme on dirait maintenant, ne tripe pas sur les vêtements. Surtout qu’il ne distingue pas vraiment les couleurs, bien qu’il affirme le contraire. 

Un appel du bas des marches de l’escalier fait sortir Léondina de sa réflexion.

— Coudon, Maxime, tu t’maries-tu ou si tu t’maries pas ? Faut descendre à Saint-Sauveur, s’impatiente Philias. 

Léondina fait passer tout le monde devant elle. Elle essuie une larme. C’est plus fort qu’elle : chaque fois qu’un de ses enfants la quitte, elle pleure. Elle sent aussi que sa pression monte… 

***

Philias s’engage sur le chemin de Saint-Sauveur, Maxime à ses côtés. Quelques instants plus tard, il voit qu’une auto suit la sienne. Il ne sait pas qu’il s’agit de celle d’Édouard, le frère de sa future bru. 

Cortège sous un déluge. 

Philias sourit. Son Maxime se marie. Il va quitter la maison. Ça fera un peu de place aux plus jeunes. Mais il ne s’en va pas loin. Pas comme Simone qui s’est exilée à Mont-Rolland avec son Lucien. Au moins, Flore est à Saint-Sauveur et Léo à Piedmont, ce n’est pas trop loin. Maxime, lui, va rester à Morin et continuer à travailler avec lui au moulin et à la boutique. C’est tellement un bon travaillant. 

Il jette un coup d’œil en direction de Maxime, qui admire le paysage. Il sait que son fils est plutôt silencieux de nature, alors, il ne le dérange pas, même si c’est le jour de son mariage.

Au loin, le clocher de l’église de Saint-Sauveur apparaît.

Quand il se gare devant l’église, Philias ne remarque pas que l’auto qui suivait la sienne s’est elle aussi arrêtée non loin.  

***

La cloche sonne : 

— Oyez, tout le monde. Deux enfants de Dieu vont s’unir devant lui et les hommes — la formule, alors, n’incluait pas les femmes. C’est une bonne et joyeuse nouvelle.

À l’intérieur de l’église, les invités se sont regroupés « par famille ». La rangée de la mariée fait « pic-pic ». Il y a bien ses deux sœurs de Montréal, Alice et Germaine, qui sont montées avec leur Joseph respectif : un Coulombe et un Labelle. Il y a aussi son oncle Louis et sa tante Lydia ainsi que son oncle Aimé et sa tante Olympe. Ses parents n’ont évidemment pas fait le voyage de l’Anse-à-Gilles jusqu’à Saint-Sauveur. Joseph-Édouard son père est souffrant; cela fait quelques années que ça dure. Il a souvent mal à la tête… Et deux amies de Marie-Rose sont venues au mariage, même si elles ne sont pas catholiques : madame Smith, évidemment, et madame Jamieson. Madame Bouchard a été touchée de l’invitation au mariage; elle étrenne une belle robe. Madame Savaria est descendue de Montfort. Elle a non seulement dessiné et confectionnée la robe de Marie-Rose, mais elle partage avec elle une amitié indéfectible. Elle l’a soutenue après la rupture de ses fiançailles avec Ernest O’Connor, et elle a été sa confidente et sa dose d’optimisme dans les moments de découragement, à des centaines de milles de chez elle et si loin de son fleuve. 

La rangée du mariée, elle, est presque pleine. Dans le premier banc en avant, Léondina essuie encore une larme. 

— Maman, arrête de pleurer. Maxime est pas mot, y s’marie

Anne-Marie, la petite dernière, la préférée de Maxime — elle le sait, même s’il ne le lui a jamais dit clairement — essuie les larmes qui coulent sur les joues de sa mère.

Après l’avoir consolée, pour l’instant, la petite se tourne carrément vers l’assistance derrière elle. Elle multiplie les ta-tas : à ses frères et sœurs, à ses neveux et nièces — oui, elle en a déjà, dont la petite Marielle, la fille de Flore qui a à peine deux ans plus jeune qu’elle; à ses mononcles et ses matantes. 

Léondina la rappelle à l’ordre. On est à l’église après tout. En se retournant vers sa mère, Anne-Marie lui murmure : 

— Mon oncle Alderic vient juste d’arriver. 

Léondina a soudain le souffle court et sa pression monte à nouveau d’un cran.

— Mon Dieu, chuchote-t-elle, faites qu’il n’y ait pas de chicane! Je l’aime bien ma belle-sœur, mais, vous le savez comme moi, il faut toujours qu’elle mette le trouble. 

Elle se signe après cette courte supplique.

Soudain, l’organiste ajuste ses jeux. Anne-Marie se tourne vers le jubé. Puis, c’est plus fort qu’elle, elle s’écrie : 

— Moman! Y’arrivent! Maxime et pâpâ!

Tout le monde se tourne. Le marié et son père s’avancent lentement dans l’allée principale. 

Quelque chose d’autre attire l’attention de l’assemblée : des gens semblent s’agiter dans le portique de l’église. Des parapluies se ferment. Un homme au physique imposant leur bloque partiellement la vue… Aussi bien revenir au marié qui s’installe du côté droit de la sainte table. 

Un court silence, puis… 

Moment magique! La marche nuptiale se fait entendre. D’un seul mouvement, l’assemblée se retourne. 

Marie-Rose fait son entrée au bras de son frère Édouard. Elle sourit. On lui a dit que ce serait le plus beau jour de sa vie, et elle a décidé de le croire, même si elle a vingt-six ans et que l’âge des rêves est passé. 

L’orgue, les fleurs sur l’autel, l’odeur de l’encens qui brûle déjà sur ses braises, ses soeurs, ses oncles et ses tantes, ses amies, d’un côté, et de l’autre, l’immense famille de Maxime : elle est presque étourdie. Il y a plusieurs personnes qu’elle ne reconnaît même pas. Un sourire tout ce qu’il y a de plus fabriqué attire cependant son attention : elle reconnaît M avec mari et enfants! Encore une fois, elle s’interdit d’avoir des pensées désobligeantes. Elle se concentre sur le sourire d’Émile, un des oncles de son futur mari.

Arrivée à la sainte table, Marie-Rose remarque qu’Anne-Marie lui envoie des becs et que Léondina pleure à chaudes larmes, un main sur sa poitrine généreuse. Elle prend place, aux côtés d’Édouard, son frère-père pour l’occasion.

Tout le monde est à sa place. La cérémonie peut commencer. 

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Après l’exorcisme

Note

J’ai écrit ceci deux ans après la chronique intitulée Exorcisme.

Récidive. Nouvelle opération. Récidive. Et ceci…

Tu aurais pu écrire ce qui suit. Mais tu l’empruntes tout de même à un auteur philosophe, découvert il y a quelques années dans l’Éloge de la faiblesse et Le philosophe nu, et qui dit ces choses bien mieux que tu ne les aurais dites.

« Certaines nuits, je me réveille en songeant que l’univers est vaste et que dans quelques années, je ne serai plus là. J’ai des angoisses et cet univers me paraît dépourvu de sens. Certains matins, je me lève avec la confiance absolue en mon cœur et je suis sûr que Dieu, qui n’est pas Dieu c’est pourquoi je l’appelle Dieu, existe et qu’il est infiniment bienveillant. »

(Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon, Paris, Seuil, 2012, p. 63)

∞∞∞

Certains matins, ou certains soirs, selon ton humeur, tu réalises que ce cancer pourrait t’être fatal. Que tu pourrais mourir ! Tu as de la difficulté non seulement à écrire, mais à prononcer ce mot. Même dans ta tête, il ne se meut pas bien dans le flot de tes pensées. 

Mourir. Tout quitter, même ce qui t’a fait souffrir pendant ta vie. Souffrir à l’idée de mourir. Laisser ton compagnon derrière toi. Et ta Cannelle, la plus aimante des chattes. Et tes amis, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de ta maladie. 

Mourir. Ne plus être. 

∞∞∞

La date fatidique se rapproche. L’étau se resserre. Dans quelques jours, ce sera pour vrai. Il n’y aura plus de distance à parcourir avant de… Tu seras assis dans le bureau de l’oncologue – tu as failli écrire de « ton » oncologue, mais tu n’as pas à ce point le besoin de propriété. Il te livrera son plus récent bulletin de nouvelles, qui te concernent toutes. Tu sais déjà que ton cœur battra à se rompre. Tu tenteras, en vain, de respirer doucement. 

Jamais bulletin de nouvelles ne t’aura autant stressé. Il parlera de protocoles. Et les dés seront joués. Tu devras t’en remettre à la chance, au hasard. Tu espéreras – ce sera nouveau pour toi, car tu as plutôt tendance à désespérer – faire partie des 80 % de ceux et celles qui s’en tirent indemnes. Indemnes ? Pas sûr. En mots plus simples, tu espéreras vivre encore quelques années. 

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Exorcisme

Note

Je crois n’avoir jamais publié ce texte. Je l’ai retrouvé en faisant du ménage dans mes nombreux essais de textes en tous genres. J’apprendrai quelques mois plus tard que la chose que l’on m’avait retirée était une tumeur cancéreuse.

30 août 2011. Je subis une intervention mineure en gastroentérologie. Ce domaine de la médecine ne traite pas l’une des parties les plus nobles de l’anatomie humaine, mais c’est comme ça. Dieu, ayant, paraît-il, créé l’homme à son image et à sa ressemblance, a peut-être lui aussi un système gastrique. Même divins, ses boyaux n’en restent pas moins des boyaux. Cela aurait sans doute été plus élégant qu’on me retire quelque chose au cerveau, ou plus truculent si la région affectée avait été celle de mes parties intimes – on remarquera que je n’ai pas utilisé « sexy » ou « érotique », mais bien « truculent », signe que je ne me fais aucune illusion sur mes dites parties que j’ai pourtant exposées au grand jour pendant qu’on m’opérait. 

À ce moment, je suis plus préoccupé par l’allure comique que doit me conférer le petit chapeau en chiffon J bleu que l’on m’a placé sur la tête avant d’entrer en salle d’opération. Est-ce pour protéger mon crâne dégarni de la froidure ambiante ? Je ne sais pas. Mais, comme je n’ai pas une tête à chapeau, je suis, disons « préoccupé » – on remarquera l’usage d’un terme de la diplomatie – par l’allure que je dois avoir ainsi coiffé. C’est tout moi : j’ai le « fondement » exposé à la vue de celles qui m’opèrent et autres infirmières – on m’a prévenu le matin que je serais placé dans une posture dite « gynécologique » –, mais je me soucie plus de ce ridicule chapeau bleu. L’image de Gilles Duceppe me vient à l’esprit. Sauf que moi, je n’effectue pas une visite; je suis le visité. Assez de détails scabreux. Passons aux choses sérieuses.

30 août 1959. J’entre au juvénat Notre-Dame à Iberville. J’ai onze ans. Je quitte mon foyer pour la première fois. J’ai l’estomac noué et j’ai mal au ventre. Je ne suis généralement pas amateur de coïncidences ou de phénomènes paranormaux, mais j’ai l’intime conviction – c’est comme la foi, ça ne s’explique pas – que le problème « intérieur » dont j’ai souffert par la suite s’est noué, c’est le cas de le dire, en ce beau dimanche de fin d’été 1959.

Ce jour-là a commencé sans doute le plus long et le plus douloureux mal de ventre de l’histoire ! De la mienne en tout cas. Que de visites à l’infirmerie, je ferai : j’ai mal au cœur, j’ai mal au ventre, je vais vomir. Je suis bloqué – on n’utilise pas le mot « constipé », je ne sais pourquoi. Trop cru sans doute. Trop « signifiant », pour utiliser un terme de la sémiologie. On lui préfère « blocage », prononcé en se passant la main sur le ventre et en grimaçant juste assez pour que l’infirmier comprenne. Comme au temps du malade imaginaire, on traite encore ces maux avec des purgations, des émétiques et des lavements. Tout juste si l’on ne nous fait pas une saignée ! Chaque fois, la douleur se montre plus forte que ma gêne. Je n’ai jamais été très fort sur le déculottage en public – ce qui explique peut-être aussi que je déteste tout ce qui s’appelle thérapie par le parlottage, le radotage et le remuage de déjections psychologiques. 

30 août 2011 Jour du grand exorcisme. On m’a extirpé le problème que je portais en moi – c’est le cas de le dire – depuis cinquante-deux ans. Quand je disais qu’il s’agissait sans doute du plus long mal de ventre de l’histoire…

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La visite du curé

Début des années 1950, visite du curé, salon de la maison de Mont-Rolland.

Marie-Rose a fait le ménage, même si c’est une pièce où ils ne vont jamais. Marc, grognon, a arrêté son moulin à scie et s’est rasé de près et s’est changé. On ne doit pas accueillir le curé en overalls

Marie-Rose fait entrer le curé Moreau – à moins que ce soit le curé Laurin – par la porte principale. Celle de la cuisine ne convient pas à un curé. Marc le salue; son sourire est un peu faux. Il pense au temps qu’il lui faudra reprendre pour livrer au bon moment les 2 par 4 qui lui ont été commandés.

En s’assoyant, le curé voit un livre sur une petite table, juste à côté d’une statue de Shirley Temple que Marie-Rose a gagnée à une tombola, « quand elle était fille ». Il le prend, lit le titre, puis le brandit en disant :

— Vous lisez La mère canadienne et son enfant, madame Guénette.

Marie-Rose, surprise, bafouille :

— Euh… oui. Mon deuxième fils est né en 1947. On donne des bons conseils dans ce livre. 

— Vous savez que les évêques canadiens ne conseillent pas la lecture de ce livre ? lui demande le curé.

Marie-Rose, piquée au vif, prend une grande respiration et dit :

— Sauf votre respect, monsieur le curé, les évêques ne doivent pas connaître grand-chose à l’éducation des enfants. 

— En conscience, je me dois, madame Guénette, de vous déconseiller cette lecture au nom de notre mère la sainte Église.

— Et moi, encore une fois sans vouloir vous offenser, je vais continuer à y trouver des bons conseils. Ma conscience, je m’en occupe. 

Un long silence suit. Le curé se retient de traiter Marie-Rose de « protestante ». Quant à Marc, en entendant les paroles de sa femme, il a blanchi sous son hâle d’homme qui travaille beaucoup à l’extérieur. On ne parle pas comme ça à un curé, même si celui-ci n’est pas particulièrement sympathique. Il a été élevé dans le respect de Dieu et de l’Église, sa représentante sur terre. C’est du moins ce dont il se rappelle du catéchisme auquel il a marché dans son enfance avant de faire sa première communion.

Comme si rien ne s’était passé, Marie-Rose dit au curé : 

— Une tasse de thé et des biscuits, monsieur le curé ?

— Non, merci, dit le curé qui ne semble ne pas digérer de s’être fait parler de la sorte. Je vais continuer ma visite chez les Latour. 

Il se lève et ne bouge pas. Ma mère comprend que c’est le temps de payer la dîme. Elle regarde son mari et lui fait un signe de tête. Celui-ci remet une enveloppe au curé. 

Le curé ouvre l’enveloppe et jette un coup d’œil à son contenu. 

Marie-Rose lui dit alors en souriant : 

— Ne vous inquiétez pas, le compte y est. Nous sommes de bons catholique, vous savez. D’ailleurs, voudriez-vous nous bénir ? 

Le curé s’exécute :

— In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. 

— Amen, répondent Marc et Marie-Rose. 

Puis, sans perdre de temps, Marie-Rose se dirige vers la porte. 

— Bonjour, monsieur le curé.

***

L’anecdote fera le tour de la famille de Marc. Yvonne, sa belle-sœur, rira à en perdre le souffle. D’autres lui feront un moins bon accueil. Heureusement, l’anecdote ne se rendra pas aux oreilles de Philias et de Léondina, les parents de Marc. Ils n’auraient sûrement pas apprécié. Quant aux parents de Marie-Rose, aucun danger. Joseph-Édouard est mort et aucun risque que Joséphine ne l’apprenne au Cap-Saint-Ignace où elle a déménagé après avoir été escroquée par son propre notaire lors de la vente de la terre ancestrale.

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Des histoires de famille

Chapitre 7

Montréal, novembre 1932

14 mars 2004 : photo prise le jour de ses 97 ans. Marie-Rose se souvenait encore de cet épisode de sa vie. Elle affirmait, non sans sourire, que ça s’était vraiment passé de cette façon. 

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Marie-Rose marche lentement sur le trottoir enneigé de la rue Sainte-Catherine. Le soir est tombé et les vitrines illuminées se reflètent dans les plaques de glace de la chaussée. Le dernier p’tit char qu’elle a pris est tombé en panne juste en face du magasin où elle hésite maintenant à entrer. 

Sa sœur Alice, chez qui elle passe la fin de semaine, l’avait avertie que c’était une bonne trotte de partir de la rue Saint-André pour se rendre sur la rue des grands magasins. Mais Marie-Rose était bien décidée. La papeterie où elle trouverait les anges à coller dans les cahiers de ses bons élèves se situait, paraît-il, juste un peu plus loin. Mais, d’abord, il lui fallait entrer dans ce magasin qui, vraiment, l’impressionnait. 

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Quelques heures plus tôt, Maxime s’était changé prestement et avait conduit Marie-Rose à la gare de Saint-Sauveur. Elle ne voulait pas que les méchantes langues de Morin-Heights voient la maîtresse d’école prendre le train. L’année scolaire se déroulait pourtant bien, mais M faisait encore des siennes pour un rien. Marie-Rose avait même dû défendre sa façon d’enseigner — on dirait aujourd’hui « sa pédagogie » — devant les membres de la commission scolaire. « Alors, comme lui avait dit la maîtresse d’école qu’elle avait remplacée, ne rien faire ou dire qui peut faire jaser. »

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Marie-Rose a osé. Elle a franchi le pas  ; elle est entrée dans le magasin. Elle n’en a jamais vu d’autres comme ça. Éblouie, elle prend le temps de bien remplir ses yeux de si beaux souvenirs.

— May I help you?

Une vendeuse au bec pincé l’a rejointe sans qu’elle s’en rende compte. Pas surprise du tout — sa sœur l’a prévenue, « ça parle anglais partout » — Marie-Rose, avec son accent irlandais de Montfort, lui répond :

— Yes, Miss. I would like to see the engagement rings.

— Follow me, please.

Marie-Rose la suit, se disant que cette vendeuse a un drôle d’accent…

La pincée place deux ou trois bagues de fiançailles sur le comptoir devant Marie-Rose, qui les regarde de près, puis, en désignant une, lui demande :

— How much is it?

La pincée se dépince un peu et, souriante tout à coup, articule nettement, bien qu’avec son drôle d’accent, les quatre chiffres du prix de la bague.

Marie-Rose, soudain prise de vertige, n’en croit pas ses oreilles ! Il y a du monde qui peut payer un tel prix pour une bague de fiançailles !

&

Son pécule n’est pas bien gros, même avec la petite somme que sa mère lui a envoyée, en lui disant de ne pas en parler à son père. Mais il n’est pas dit qu’elle sera une fiancée sans bague !

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Retrouvant ses sens, elle dit à la vendeuse : 

— It is too expensive for me… Do you have…

La pincée ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase : 

— Si vous voulez que’que chose de cheap, fallait aller magasiner alieurs. Icitte, on vend just’ d’la qualité. Y’a des pawn shops pas loin…

Marie-Rose, piquée au vif, lui répond : 

— En plus de mal parler votre langue – vous êtes Canadienne française – vous ne savez pas vivre, mademoiselle. Vous manquez d’éducation. Par chez nous, on dirait que, au lieu d’avoir été élevée, vous avez été « garrochée ». Je suis certaine que vous comprenez ce que je veux dire.

La pincée ajoute une touche cramoisie à sa figure éberluée de s’être fait répondre de la sorte. 

— Je veux voir votre supérieur. Tout de suite, reprend Marie-Rose. 

La vendeuse a non seulement perdu de sa superbe, mais elle n’en a plus du tout. Elle se doute de ce qui l’attend. Elle revient avec une dame d’allure très british, constipée elle aussi, mais, chez elle, cela semble naturel. 

— What can I do for you, Madam?

Marie-Rose décrit la malheureuse scène qui vient de se passer. Dès la première phrase, la supérieure fixe la vendeuse. D’un signe de tête, elle lui ordonne de disparaître… vers son bureau. Elle invite ensuite Marie-Rose à la suivre vers un autre comptoir, d’où elle sort des bagues de fiançailles. Marie-Rose les regarde. Elle en trouve une à son goût, mais elle hésite à en demander le prix. Elle ne veut pas frôler la crise d’apoplexie une autre fois, surtout dans le même magasin.

La dame anglaise se doute pourquoi Marie-Rose hésite. Elle prend sur elle de lui donner le prix de la bague. Elle ajoute en français – son accent est magané, mais généreux :

— Nous avons bagues pour tout’ les budgets, my dear.

Marie-Rose est non seulement ravie, mais émue par la gentillesse de la dame anglaise. Ça lui rappelle son amie madame Jamieson, à Morin-Heights, qui lui dit souvent : my dear.

— Thank you, madam. Je la prends. 

&

Dans le p’tit char qui la ramène chez sa sœur, Marie-Rose sourit aux anges. Elle serre dans ses mains la belle boîte en velours bleu où se cache sa bague de fiançailles. Enfin, elle en a une! Elle se sent vraiment fiancée désormais. 

Au souper des fêtes chez les Guénette, elle la montrera à tout le monde. Elle se fera un plaisir de la passer sous le nez de M, qui s’empressera de répandre la rumeur dans le village que Maxime a été obligé d’emprunter de l’argent pour offrir une bague « pas de prix » à sa fiancée du Bas-du-Fleuve. Même si elle a enseigné, M ignore — Marie-Rose en est certaine — que L’Anse-à-Gilles n’est pas dans le Bas-du-Fleuve. On y est bien loin de Rimouski et de Matane…

&

Le dimanche, en fin d’après-midi, quand Marie-Rose monte dans l’auto de M. Guénette père, une merveilleuse odeur se répand dans l’habitacle. Maxime, en plus d’être silencieux, n’est pas très sensible aux odeurs, il ne remarque donc rien. Marie-Rose doit s’approcher et lui donner un petit bec sur la joue — il faut qu’elle soit dans de joyeuses dispositions pour s’exposer ainsi en public — pour qu’il se rende compte que sa fiancée a mis du sent-bon. Il s’étonne lui-même de s’entendre dire : 

— Tu sens bonne, Rose !

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Le printemps suivant, Marie-Rose reprendra le train pour Montréal afin d’y compléter son trousseau. Sa mère lui a envoyé des couvertures, des draps et des taies d’oreiller brodés au Richelieu, des catalognes de lit et de plancher, des serviettes, des débarbouillettes et d’autres utilitaires… Mais elle veut un beau service de vaisselle et une belle coutellerie.

Elle se rendra au même magasin où elle a trouvé sa bague de fiançailles en or blanc, qui a beaucoup fait jaser avec son tout petit diamant. Elle y achètera un service Mary Stuart de Wedgwood pour huit personnes avec soupière et louche, plats de service, saucier, pot à lait et sucrier. La coutellerie attendra, car le service à vaisselle a coûter trop cher.

Pour la petite histoire 1

Depuis son arrivée dans la vie de l’auteur de ces histoires, Cannelle, sa chatte, mange dans les plats à dessert Mary Stuart du service de Marie-Rose.

Pour la petite histoire 2

Quelques mois auparavant, Marie-Rose a appris le décès de son cousin Gérard Raymond, dix-neuf ans, mort « en odeur de sainteté », dans le quartier Saint-Malo à Québec. Il était le fils de Camille Raymond et de Joséphine Poitras, sa tante. Sa carte mortuaire le représentait, un lys blanc à la main, symbole de virginité. 

Trois ans plus tard, le journaliste Jean-Charles Harvey publiera un roman, Sébastien Pierre, qui imaginait la vie du jeune Sébastien (Gérard) s’il n’était pas mort de « consomption », comme on disait alors. Sur sa carte mortuaire, Sébastien n’aurait sûrement pas tenu de lys blanc… Le roman fut mis à l’index par l’archevêque de Québec, le cardinal Villeneuve.

Le Dictionnaire biographique du Canada donne une bonne description de la vie de Gérard Raymond, malgré quelques erreurs. On peut la retrouver sur le site Internet: [biographi.ca/fr/bio/raymond_gerard_16F.html].

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Noir, c’est noir…

Pas jojo, le monsieur, en décembre 2012. Il faut dire qu’il était au prise avec un cancer… Cela change parfois les perspectives.

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Johnny chantait Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir… C’était il y a longtemps. À l’époque où je découvrais que l’espoir, ou l’espérance comme on l’appelait dans le milieu religieux d’où je sortais, meurtri, était une fumisterie qui nous détournait du réel. On se nourrissait d’espérance pour ne pas penser au vide, au grand vide qui nous attendait au bout de la vie. Ou au bout de l’amour quand celui-ci était mort… Quand l’amour est mort, une autre chanson qui m’avait marqué.

C’était il y a si longtemps, dans un autre siècle. Et pour paraphraser une autre chanson, plus récente celle-ci et de Dalida, je venais d’avoir dix-huit ans. Je n’étais plus beau comme un enfant — je ne l’avais d’ailleurs jamais été; je n’étais pas fort comme un homme — je ne le serais jamais!

C’était en 1966. Je venais de quitter la communauté. J’étais…

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Caractère

Un souvenir plus personnel.

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À leur arrivée au noviciat de Saint-Hyacinthe, les nouveaux postulants étaient invités — en fait, cela leur était imposé — à remplir le test de caractérologie, très populaire à l’époque, de René Le Senne. Une foule de questions auxquelles ils devaient répondre sans trop réfléchir. Et le résultat, analysé par le maître des novices, lui servirait à les guider de façon personnalisée. À remarquer que le maître des novices était aussi celui des postulants.

Quand ce fut à mon tour de me présenter en « direction », comme nous appelions la direction spirituelle, je ne savais pas ce qui m’attendait. Ceux qui étaient passés avant moi restaient très flous sur leur rencontre avec le frère maître.

J’entrai dans son bureau. Il m’invita à m’asseoir. Il déplia les feuillets du formulaire de mon test… Et le verdict tomba : « Vous êtes sentimental, nerveux, passionné, colérique », m’annonça-t-il sur un ton qui me sembla être celui…

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Autres souvenirs de famille

Hier, j’ai connu la joie de me faire extraire une dent. En traversant le square Saint-Louis pour me rendre chez mon dentiste, un souvenir m’est revenu. Un souvenir sanglant, c’est le cas de le dire. 1951. Mon père doit se faire extraire toutes les dents. L’époque n’est pas tellement aux soins dentaires. Il prend rendez-vous chez un dentiste de Saint-Jérôme. Nous montons dans le camion, un samedi matin — il a donné congé à Rémi Latour qui travaille pour lui. Je suis assis sur les genoux de mon frère. Comme ils sont déjà rondouillets, je suis confortable. Nous attendons mon père sur un banc du parc qui fait face à la cathédrale, où se trouve une statue du curé Labelle. Soudain, mon frère dit : «Le v’là.» Mon père est méconnaissable. Premièrement le haut de sa figure, buriné par le soleil au fil des années à travailler dehors, est blanc comme un drap. Et sa bouche est rouge du sang qu’il essaie de contenir avec des morceaux de papier. On apprend alors qu’il s’est fait enlever les dents du haut sans anesthésie. Nous n’étions pas riches, et le 5 $ que coûtait l’anesthésie, était de trop dans le budget de mon père. Il reviendra la semaine suivante pour les dents du bas. Comme mon père se sent faible, ma mère dit à mon frère de conduire le camion. Il conduit depuis l’âge de neuf ans, mais dans la cour du moulin seulement, jamais sur la route. Il est tout fier — Raymond était un vrai gars de chars et de camions — de prendre le volant. Il n’a évidemment pas de licence… il a douze ans, peut-être treize. Cette aventure l’aura pourtant marqué à tout jamais. Il attendra d’avoir plus de soixante ans pour revoir un dentiste. Les hôpitaux lui causeront des chutes de pression. Il me remerciera tous les jours de m’être occupé de nos parents lorsqu’ils étaient hospitalisés. Il me conduisait et m’attendait dans son auto. 2004. Ma mère me dit, quand j’arrive à l’urgence de Fleury — on ne sait pas encore qu’elle y mourra dans une douzaine d’heures : «Vas guetter Raymond. Je veux pas qu’il rentre ici. J’ai pas envie qu’il s’écrase.» Malade, en fin de vie, elle pensait encorre à son grand garçon de soixante-cinq ans et ne voulait pas qu’il souffre à cause d’elle.

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