Il était une fois, sur un joli Plateau, une gente dame du doux nom de Dada. Elle et moi, nous connaissions depuis plusieurs années, pour employer un euphémisme. Dame Dada avait toujours été d’une extrême gentillesse avec moi. Confessons-le, dans notre jeunesse, nous fîmes ensemble quelques mauvais coups qui firent damner sa mère, une étoile toujours bien vivante et alerte de notre paradis artistique.
Dame Dada, sous ses airs de jeune fille de bonne famille — elle avait étudié à Marie-de-France — nourrissait en elle un petit fond réjouissant de « belle » méchanceté. Belle, oui, car, lorsque dame Dada se sentait offensée de quelque façon, ses colères, elles, n’étaient pas bellottes à voir et à encaisser de la part du faquin ou de la faquine qui avait eu la fâcheuse idée de s’en prendre à elle. Une vraie Sagittaire qui pittechait ses flèches jusqu’à ce que l’ennemi soit terrassé.
Sa belle méchanceté s’épanouit d’un cran quand elle fit la connaissance du sieur Mario. Nos « mauvais coups » firent pâle figure devant ceux qu’elle concocta avec ce sieur facétieux — on remarquera ici, j’espère, l’allitération. Ces deux-là devinrent comme cul et chemise. L’expression est quelque peu triviale, mais il n’en vient pas d’autres à mon esprit vieillissant.
Les présentations faites, venons-en au cœur du sujet.
Un jour, dame Dada me fit porter un de ces plis, que nous recevons maintenant par les airs ou les ondes, je ne sais plus, où elle nous conviait sieur Luc et moi-même à un dîner estival sur sa terrasse. Je faillis défaillir d’euphorie et de félicité — j’allitère, j’allitère, je sais. Mon vieux corps me joue de vilains tours depuis de nombreuses années, et, comme le disait mon père, le sieur Marc : « Quand tes jambes te portent difficilement ou pas pantoute… » Cela pour dire que, ne pouvant sauter de joie, je fondis en larmes. Je voulus prévenir sieur Luc, mais il ne comprit rien à cause des sanglots, plus longs que ceux de Verlaine, qui les comparaient au vent d’automne.
Aparté
Je ne veux pas ici faire preuve de maniérisme en utilisant des références littéraires. C’est que dame Dada est une bombe de connaissances : elle est actrice, chanteuse, traductrice, adaptateuse pour la scène et, le bouquet, science politiqueuse. C’est dire comment il me faut faire preuve d’un peu d’érudition…
Fin de l’aparté
Toujours est-il que, par un beau soir d’été, sieur Luc et moi vîmes un magnifique carrosse argenté se poser devant notre humble résidence. Comble de simplicité, dame Dada conduisait elle-même ledit carrosse ! J’en eus le souffle coupé, ce qui n’est pas difficile dans mon cas, je lui cours après de grandes parties de journée. Dame Dada descendit et m’ouvrit ses bras, comme elle l’avait fait tant de fois auparavant. Simple, je vous dis! Aucune forfanterie de sa part. Ni de celle de dame Lyly, une sienne amie, grande littéraire devant l’Éternel. Celle-ci m’ouvrit la porte du carrosse et m’aida à m’y installer. Elle m’attacha même. Car on s’y attache maintenant. On a remplacé les sangles de cuir du marquis de Sade, par des courroies douces et coulissantes qui vous rivent à votre siège. La modernité atteint des sommets !
Dame Dada nous conduisit à travers les méandres fous et dangereux que notre mairesse — le mot est réducteur, mais il lui convient bien — a cru bon de parsemer ici et là dans notre ville. Dame Dada contourna dextrement d’immenses sculptures orangées posées partout sur notre route — de l’art de rue, comme on les appelle, je crois. Je voudrais revivre en pensée notre trajet, que la chose me serait impossible. Je sentis dame Dada se retenir de médire de notre mairesse ou de proférer des grossièretés, ce qui aurait été tout à fait inapproprié dans sa bouche. La noblesse ne se gagne pas; elle se vit au jour le jour dans les moindres gestes. Dame Dada et dame Lyly en sont les preuves vivantes.
Enfin, malgré les désagréments de la route, tout de même vécus dans le confort de notre carrosse, nous arrivâmes devant les grilles de la résidence de dame Dada. Et là, quelle ne fut pas ma surprise, ô combien plaisante, d’y apercevoir la signora Effèma. Elle serait des nôtres ? Je ne m’y attendais pas. Dame Lyly me détacha et me soutint pour sortir du carrosse, exercice périlleux qu’elle réalisa avec une virtuosité désarmante. Et je me retrouvai dans les bras de la signora Effèma, que je n’avais pas vue depuis des lustres. Bises et rebises. Je laissai la place à sieur Luc qui, joyeux et ému, la bisa et la rebisa à son tour.
Après les périls que dame Dada avait affrontés pour nous conduire jusqu’à sa demeure, je me sentis tout à coup en paix. Les oiseaux chantaient dans les arbres du jardin. Le potager fleurait bon. La table était mise, des fauteuils confortables attendaient que nous nous y effouèrions — oui, l’effouèrement est permis en certaines circonstances amicales.
Le bonheur de se retrouver en si agréable compagnie.
*****
L’émotion du souvenir, et mes vieux doigts qui sur mon clavier me jouent parfois des tours, est à son comble. Je dois m’arrêter sur la promesse que la suite de ce récit viendra sous peu.