Après les funérailles de Linda

Flora et Hector doivent être contents de leur clan. À Saint-Sauveur, les Chartier sont réunis autour de leur frère Audé et de sa femme Judith, qui pleurent la mort de leur fille Linda qui, jusqu’à il y a quelques mois, était leur bâton de vieillesse. 

Le cancer a écrit son œuvre démente dans ses cellules. Il s’en est emparé, les a rendues folles et les a lâchées lousses. « Croissez et multipliez-vous », a-t-il dit, comme le père éternel à barbe blanche de notre enfance. En avril, Linda a consulté. Ses cellules avaient perdu le peu de raison qu’il leur restait. La terrible, la « longue » maladie avait pris le contrôle. Linda n’y pouvait plus rien. Elle se trouvait sans doute jeune pour mourir. Liberté 55, qu’ils disaient ! Pas de liberté dans son cas, pas de choix. Oui, tout de même, celui d’accepter l’inéluctable, de partir, la tête haute.

Heureusement que, dans leur malheur, Audé et Judith ne sont pas seuls. Flora et Hector, les parents d’Audé, se sont arrangés pour que tout se passe le mieux possible. Ils ont lancé des invitations : « Venez à Saint-Sauveur, le 12 août, venez dire à notre garçon et à sa femme qu’ils ne sont pas seuls. » Réal, Alcide et Yvon, qui sont déjà dans le grand monde de l’Éternel, de l’Infini, ont prêté main-forte.  

Et le clan des Chartier s’est réuni. Marielle, l’aînée, frêle et souffrante, est descendue de Saint-Adolphe. Claude et Serge ont répondu à l’appel. Et le chœur des filles est là lui aussi : Pierrette, Monique, Lucie et Claudette. On dirait les tantes qui veillaient sur l’héroïne de Kamouraska, dans le roman de Anne Hébert. Huguette, la veuve de Réal, et quelques-un(e)s de son propre clan sont aussi présents. Flora et Hector ont de quoi être fiers.

Flora a communiqué avec sa petite sœur Anne-Marie, quatre-vingt-onze ans (Ti-Pit pour les intimes) : « Laisse pas mon gars tout seul ! » qu’elle lui a dit de sa voix d’aînée du clan des Guénette. Anne-Marie, obéissante – du moins, c’est ce qu’on a toujours dit d’elle – a rameuté ses enfants. Suzanne et Christiane ont répondu oui. Elles ont pourtant leurs propres soucis, mais il n’était pas question qu’elles restent chez elles pendant que leur cousin et sa femme vivent un deuil difficile – en existe-t-il de faciles ?

Il y avait aussi (ton des litanies des jours anciens) :

Arsène à Simone, et Louise. 

Laurent à Lionel, et Suzanne. 

Lisette à René. 

Isabelle à Hervé. 

Jocelyne à Fernand. 

Eux aussi, ils ont leurs soucis, mais aucun d’entre eux n’a voulu laisser leur cousin endeuillé seul en ces moments de détresse. 

J’y suis, moi aussi, Pierre à Marc. 

Il m’est venu à l’idée que, dans leur éternité, mon père et ma mère participent à une grande réunion de famille organisée par Flora et Hector pour accueillir Linda, leur petite-fille. 

Fernand, un bout de doigt en moins, accorde son violon, pour la veillée qui se prépare. 

Simone a préparé quelques bonnes tartes. Ça se mange tout seul après les sets carrés. 

Lionel, Hervé et Marc sont dans une grande discussion de moulins à scie. 

René, parti si jeune, est lui aussi de la fête. Il sourit, un sourire qu’il est seul à avoir – un sourire de Lorion, disait-on. 

Gabrielle est là, sur ses deux jambes, bien droites, et met la main à la pâte. Dans sa vie terrestre, elle était handicapée.

Raymond, mon frère, semble un peu surpris de voir Marie-Rose, notre mère, et Flora se jaser comme elles ne l’ont jamais fait depuis qu’il avait deux ans. À croire que l’éternité réchauffe les refroidissements qui se produisent parfois dans la vie des gens.

Léondina et Philias, dans leur berceuse, sourient devant tant de beauté. Ils ont de bons enfants. 

Audé, Judith, reposez-vous. Soyez en paix. Votre Linda est entre bonnes mains. Flora et Hector l’ont accueillie. 

La fête bat son plein. Le party est pogné ! 

Et Linda revit, belle, fière et heureuse. Elle vous embrasse.

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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8 Responses to Après les funérailles de Linda

  1. Avatar de Lise Guénette Lise Guénette dit :

    J’aime ton style d’écriture. Sans vouloir être prétentieuse je crois que notre parenté s’y rencontre. J’aime écrire, malheureusement j’ai besoin de stimulation (comme des ateliers) et il n’y en a pas souvent. Mais quand l’occasion se présente je suis partante. Mais dis-moi, quand Linda est-elle morte? Parce qu’entre les morts et les vivants je ne m’y retrouve plus. Ta cousine Lise

    Envoyé de mon iPad

    >

    • Bonjour Lise,

      Merci de ton commentaire. Je réfléchis à une façon de te faire écrire sans atelier… Tu as sûrement de beaux souvenirs à raconter (il peut y en avoir aussi des moins beaux). Tu pourrais, par exemple, publier tes textes sur mon blogue. Je t’y invite et c’est gratuit.

      Linda est la fille de Audé Chartier, le fils de Flora Guénette, la nièce de ton père, Flore à Philias, comme les vieux disaient dans le temps. Linda est décédée d’un méchant cancer en 2016, si ma mémoire est bonne. Isabelle pourrait sans doute te le confirmer.

      Je projette, si je me trouve quelqu’un pour m’y emmener, de vous rendre une petite visite à toi et à Isabelle (si cela vous convient, bien sûr). Il y a un service d’autobus, mais mes os ne me permettent pas de longs trajets dans le métro (escaliers multiples). Inutile de vous dire que je vous préviendrai.

      Ton cousin Pierre

    • Avatar de pgue pgue dit :

      Bonjour Lise, Merci de ton commentaire. Je réfléchis à une façon de te faire écrire sans atelier… Tu as sûrement de beaux souvenirs à raconter (il peut y en avoir aussi des moins beaux). Tu pourrais, par exemple, publier tes textes sur mon blogue. Je t’y invite et c’est gratuit. Linda est la fille de Audé Chartier, le fils de Flora Guénette, la nièce de ton père, Flore à Philias, comme les vieux disaient dans le temps. Linda est décédée d’un méchant cancer en 2016, si ma mémoire est bonne. Isabelle pourrait sans doute te le confirmer. Je projette, si je me trouve quelqu’un pour m’y emmener, de vous rendre une petite visite à toi et à Isabelle (si cela vous convient, bien sûr). Il y a un service d’autobus, mais mes os ne me permettent pas de longs trajets dans le métro (escaliers multiples). Inutile de vous dire que je vous préviendrai. Ton cousin Pierre

      (Je t’ai répondu, mais, erreur de ma part, sur mon blogue et non dans le courrier électronique. Au cas où, je te réponds ici.)

      • Avatar de Lise Guénette Lise Guénette dit :

        Au plaisir de se voir enfin en chair et en os. C’est tellement plus plaisant.

        Envoyé de mon iPad

        >

  2. Avatar de jacquesrf jacquesrf dit :

    Ton dernier écrit est un bijou. Tous tes écrits sont des bijoux mais celui-ci est tellement fluide et vivant, même s’il est question d’un décès. Je me suis retrouvé en spectateur comblé devant un vrai spectacle où les membres de ta famille se rassemblent. Tu as cette magnifique imagination et ce don d’écrire qui me rend bien humble, pour ne pas dire jaloux, je l’avoue, moi qui a toujours l’ambition d’écrire l’histoire de ma famille (deux pages d’écrites depuis ma retraite)!
    Merci de me l’avoir rappelé, tu sais que j’oublie d’aller visiter ton blogue. Je porte bien mon nom, n’est-ce pas?
    Jacques

  3. Avatar de Andrée Deschatelets Andrée Deschatelets dit :

    Un autre beau texte, merci. Ça me rappelle une citation de Félix Leclerc «C’est beau la mort, il y a plein de vie dedans ».

    • Avatar de pgue pgue dit :

      Merci, madame. J’écris peu dans mon blogue depuis quelques mois. Mon travail de prête-plume (avant on disait le mot en n) prend tout mon temps. Difficile d’écrire pour les autres tout en étant respectueux de leurs idées, de leur style, etc. À mon âge, c’est de plus en plus prenant. Mais je m’en sors encore. Pourvu que ça dure. Pierre Guénette

      • Avatar de Andrée Deschatelets Andrée Deschatelets dit :

        La difficulté d’écrire pour les autres doit être très exigeant et nécessiter beaucoup de talent. Je n’ai pas d’inquiétude pour vous, car vous avez tout ce qu’il faut!

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