« Une cloche sonne, sonne… »
Pauvre Maxime, y est pas chanceux ! pense Léondina en refermant le rideau d’un geste plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu.
***
— My dear Marie-Rose, you are not lucky ! dit madame Smith en lui servant son thé matinal ainsi qu’à son frère Édouard, qui est arrivé la veille. Marie-Rose a eu beau suspendre son chapelet à la corde à linge – un geste que madame Smith, anglicane de son état, a trouvé bizarre –, le ciel ne l’a pas entendue. Édouard essaye de remonter le moral à sa sœur, mais, comme leur père, elle n’a jamais été douée pour l’optimisme.
***
Que se passe-t-il donc, ce 1er juillet 1933 ?
Il tombe des cordes.
Il pleut à boire debout.
Y mouille à siaux !
Cela, on le sait, mais encore ?
C’est en ce jour à pleurer – c’est le cas de le dire – que Maxime et Marie-Rose se marient à l’église de Saint-Sauveur. Les bans ont été publiés et personne ne s’est opposé à leur union.
— Ça aurait ben été le boutte !
Marie-Rose réfléchit tout haut en revêtant la belle robe que madame Savaria, sa grande amie de Montfort, lui a confectionnée. Madame Smith, qui l’aide, n’ose pas lui demander de traduire sa réflexion.
Marie-Rose se regarde dans le miroir… Ce qu’elle voit lui remonte le moral pour quelques minutes : elle se trouve belle, élégante, ravissante même.
— C’est peut-être un péché d’orgueil, mais si une mariée peut pas se trouver belle, le jour de son mariage, c’est que quelque chose fonctionne pas dans le grand catalogue des péchés.
Marie-Rose a encore pensé tout haut. Nouveau regard interrogatif de madame Smith, qui ne demande toujours pas une traduction.
Marie-Rose ne prend que sa part de crédit, laissant l’autre au doigté fabuleux de madame Savaria. Quand madame Smith pose le voile sur sa tête, Marie-Rose éclate en sanglots. C’est trop beau ! Elle se trouve trop belle !
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Digression sur les promesses faites au Ciel
Heureusement, à cette époque, la mode du maquillage ne s’était pas encore trop répandue chez les femmes… ordinaires, disons. Elles laissaient cela aux vedettes de cinéma et de la chanson. Même que… une femme qui se maquillait, c’était parfois mal vu. Et cela déclenchait la machine à rumeurs.
M – celle que l’on ne nomme plus dans cette histoire –, avait, pas plus tard que quelques semaines auparavant, effacer le rouge que sa fille, pourtant si réservée, avait osé mettre sur ses lèvres.
— Y s’ra pas dit que ma fille va avoir l’air d’une guidoune !
Quant à Marie-Rose, parfois pieuse à l’excès, elle avait promis – elle ne se rappelle plus quand, pour quoi et pour combien de temps – de ne pas mettre de rouge à lèvres. Elle sera délivrée de sa promesse, des années plus tard, grâce à un confesseur compréhensif. Mais elle se contentera du rouge à lèvres, parfois d’un peu de fard à joues, sans en abuser.
Hélas, ce n’était pas tout : elle avait aussi promis de ne jamais danser si elle guérissait du rhumatisme inflammatoire qui l’avait rendue presque handicapée, quelques années auparavant. Pour son bonheur – ou son malheur, car elle adorait danser –, elle avait été guérie un an plus tard. Depuis, elle se contentait de taper du pied pendant que le calleur s’époumonait et que les danseurs virevoltaient sur les sets carrés et autres quadrilles.
Depuis quelques jours, cette dernière promesse la chiffonnait. Elle ne pouvait tout de même pas refuser d’ouvrir la danse, le jour de ses noces. D’autant plus qu’elle avait appris par Léondina que Gabrielle, la sœur de Maxime et amie de Marie-Rose, avait enseigné quelques pas de valse à son frère pour le grand jour.
D’habitude, dans les soirées dansantes, Maxime jouait du violon. Son père lui en avait montré les rudiments quand il était encore enfant ou presque. Raymond et Pierre, ses fils, ne l’apprendront que quelques semaines avant son décès, en 2005. Ils se souviendront alors d’un vieux violon « écordé » et d’un morceau d’arcanson, trouvés dans le grenier de la maison de Mont-Rolland au moment du déménagement de leurs parents en 1972.
Comme Marie-Rose était forte sur les promesses, elle en avait fait une autre pendant une solide indigestion : ne plus jamais manger de chocolat. Elle y sera fidèle jusqu’à la fin de sa vie, achetant alors du sucre à la crème sans noix chez Marie-Claude, à Sainte-Adèle, plutôt que les savoureux chocolats que son mari dégustait au moins trois fois par jour sous son nez.
***
Marie-Rose sort de la maison de madame Smith tout enrobée de beauté et de sent-bon. Ses sœurs Alice et Germaine lui ont en effet offert une bouteille de parfum pour ses fiançailles… qui, finalement, n’ont pas eu lieu. Au moins, le parfum ne fait pas partie des sanctions qu’elle s’était imposées. Une goutte derrière l’oreille; une à la saignée du bras et une autre au poignet. Pas trop ! Le parfum, c’est comme le maquillage, ça fait jaser. Il lui vient tout à coup à l’esprit que M sera à la noce ! Vite, vite, elle chasse cette mauvaise pensée, pire que les vraies qui, elles, pouvaient parfois avoir quelque chose d’agréable…
Édouard a disposé des planches de bois en guise de trottoir jusqu’à l’auto. Madame Smith suit Marie-Rose et tient sa robe relevée, décemment tout de même. Son anglicanisme ne fait pas d’elle une dévergondée. La future mariée avance à petits pas dans ses beaux souliers blancs satinés. Deux amies – madame Jamieson et madame Bouchard – pataugent dans la boue en bottes à jambe, tenant chacune un parapluie au-dessus de Marie-Rose. Elles sourient malgré le malheur qui leur tombe dessus en trombes d’eau poussées par le vent.
Marie-Rose monte enfin dans l’auto de son frère. Les deux amies et madame Smith rentrent vite chez elles pour se faire belles. Leur amie Marie-Rose se marie; c’est un grand jour ! Mouillé, mais grandiose !
***
Maxime a revêtu son habit de noces. Léondina et Gabrielle l’ont aidé.
— T’es beau, Maxime, lui dit la petite Anne-Marie, en entrant dans la chambre.
— C’est pas de sa faute, souligne Léondina, le ton sévère, mais le sourire aux lèvres.
Quelques semaines auparavant, Maxime lui a dit :
— J’en ai un habit.
Cette fois, Léondina a failli se fâcher.
— Tu veux nous faire honte, à ton père et à moi.
Elle pense tout à coup que son gars est pas mal comme son père… Ce dernier n’aurait pas honte de voir son fils dans son vieil habit acheté pour les noces de Flora, sept ans auparavant. Il aurait probablement dit, après avoir tiré sur sa pipe :
— Vieille viande ! Quossa fait ?
Léondina « a fait un maître » d’elle-même et a traîné Maxime à Montréal. Elle connaît un grand magasin où il trouvera un bel habit de noces. Elle veut être fière de son gars quand il entrera dans l’église, Philias à ses côtés – lui aussi, elle l’a entrepris pour qu’il renouvelle sa garde-robe.
— Tu te trouves pas beau d’même, mon Maxime ?
— Ben oui, moman.
Léondina sent que le cœur n’y est pas. Et elle ne se trompe pas : son fils, comme on dirait maintenant, ne tripe pas sur les vêtements. Surtout qu’il ne distingue pas vraiment les couleurs, bien qu’il affirme le contraire.
Un appel du bas des marches de l’escalier fait sortir Léondina de sa réflexion.
— Coudon, Maxime, tu t’maries-tu ou si tu t’maries pas ? Faut descendre à Saint-Sauveur, s’impatiente Philias.
Léondina fait passer tout le monde devant elle. Elle essuie une larme. C’est plus fort qu’elle : chaque fois qu’un de ses enfants la quitte, elle pleure. Elle sent aussi que sa pression monte…
***
Philias s’engage sur le chemin de Saint-Sauveur, Maxime à ses côtés. Quelques instants plus tard, il voit qu’une auto suit la sienne. Il ne sait pas qu’il s’agit de celle d’Édouard, le frère de sa future bru.
Cortège sous un déluge.
Philias sourit. Son Maxime se marie. Il va quitter la maison. Ça fera un peu de place aux plus jeunes. Mais il ne s’en va pas loin. Pas comme Simone qui s’est exilée à Mont-Rolland avec son Lucien. Au moins, Flore est à Saint-Sauveur et Léo à Piedmont, ce n’est pas trop loin. Maxime, lui, va rester à Morin et continuer à travailler avec lui au moulin et à la boutique. C’est tellement un bon travaillant.
Il jette un coup d’œil en direction de Maxime, qui admire le paysage. Il sait que son fils est plutôt silencieux de nature, alors, il ne le dérange pas, même si c’est le jour de son mariage.
Au loin, le clocher de l’église de Saint-Sauveur apparaît.
Quand il se gare devant l’église, Philias ne remarque pas que l’auto qui suivait la sienne s’est elle aussi arrêtée non loin.
***
La cloche sonne :
— Oyez, tout le monde. Deux enfants de Dieu vont s’unir devant lui et les hommes — la formule, alors, n’incluait pas les femmes. C’est une bonne et joyeuse nouvelle.
À l’intérieur de l’église, les invités se sont regroupés « par famille ». La rangée de la mariée fait « pic-pic ». Il y a bien ses deux sœurs de Montréal, Alice et Germaine, qui sont montées avec leur Joseph respectif : un Coulombe et un Labelle. Il y a aussi son oncle Louis et sa tante Lydia ainsi que son oncle Aimé et sa tante Olympe. Ses parents n’ont évidemment pas fait le voyage de l’Anse-à-Gilles jusqu’à Saint-Sauveur. Joseph-Édouard son père est souffrant; cela fait quelques années que ça dure. Il a souvent mal à la tête… Et deux amies de Marie-Rose sont venues au mariage, même si elles ne sont pas catholiques : madame Smith, évidemment, et madame Jamieson. Madame Bouchard a été touchée de l’invitation au mariage; elle étrenne une belle robe. Madame Savaria est descendue de Montfort. Elle a non seulement dessiné et confectionnée la robe de Marie-Rose, mais elle partage avec elle une amitié indéfectible. Elle l’a soutenue après la rupture de ses fiançailles avec Ernest O’Connor, et elle a été sa confidente et sa dose d’optimisme dans les moments de découragement, à des centaines de milles de chez elle et si loin de son fleuve.
La rangée du mariée, elle, est presque pleine. Dans le premier banc en avant, Léondina essuie encore une larme.
— Maman, arrête de pleurer. Maxime est pas mot, y s’marie
Anne-Marie, la petite dernière, la préférée de Maxime — elle le sait, même s’il ne le lui a jamais dit clairement — essuie les larmes qui coulent sur les joues de sa mère.
Après l’avoir consolée, pour l’instant, la petite se tourne carrément vers l’assistance derrière elle. Elle multiplie les ta-tas : à ses frères et sœurs, à ses neveux et nièces — oui, elle en a déjà, dont la petite Marielle, la fille de Flore qui a à peine deux ans plus jeune qu’elle; à ses mononcles et ses matantes.
Léondina la rappelle à l’ordre. On est à l’église après tout. En se retournant vers sa mère, Anne-Marie lui murmure :
— Mon oncle Alderic vient juste d’arriver.
Léondina a soudain le souffle court et sa pression monte à nouveau d’un cran.
— Mon Dieu, chuchote-t-elle, faites qu’il n’y ait pas de chicane! Je l’aime bien ma belle-sœur, mais, vous le savez comme moi, il faut toujours qu’elle mette le trouble.
Elle se signe après cette courte supplique.
Soudain, l’organiste ajuste ses jeux. Anne-Marie se tourne vers le jubé. Puis, c’est plus fort qu’elle, elle s’écrie :
— Moman! Y’arrivent! Maxime et pâpâ!
Tout le monde se tourne. Le marié et son père s’avancent lentement dans l’allée principale.
Quelque chose d’autre attire l’attention de l’assemblée : des gens semblent s’agiter dans le portique de l’église. Des parapluies se ferment. Un homme au physique imposant leur bloque partiellement la vue… Aussi bien revenir au marié qui s’installe du côté droit de la sainte table.
Un court silence, puis…
Moment magique! La marche nuptiale se fait entendre. D’un seul mouvement, l’assemblée se retourne.
Marie-Rose fait son entrée au bras de son frère Édouard. Elle sourit. On lui a dit que ce serait le plus beau jour de sa vie, et elle a décidé de le croire, même si elle a vingt-six ans et que l’âge des rêves est passé.
L’orgue, les fleurs sur l’autel, l’odeur de l’encens qui brûle déjà sur ses braises, ses soeurs, ses oncles et ses tantes, ses amies, d’un côté, et de l’autre, l’immense famille de Maxime : elle est presque étourdie. Il y a plusieurs personnes qu’elle ne reconnaît même pas. Un sourire tout ce qu’il y a de plus fabriqué attire cependant son attention : elle reconnaît M avec mari et enfants! Encore une fois, elle s’interdit d’avoir des pensées désobligeantes. Elle se concentre sur le sourire d’Émile, un des oncles de son futur mari.
Arrivée à la sainte table, Marie-Rose remarque qu’Anne-Marie lui envoie des becs et que Léondina pleure à chaudes larmes, un main sur sa poitrine généreuse. Elle prend place, aux côtés d’Édouard, son frère-père pour l’occasion.
Tout le monde est à sa place. La cérémonie peut commencer.
Je ne savais pas que mes parents avaient assisté au mariage de tes parents. Faut dire que je n’étais pas encore née. Lâches pas, j’aime beaucoup. Lise
Envoyé de mon iPad
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Merci. J’ai très peu de documents, et même de souvenirs racontés par mes parents, concernant leur mariage. Mais j’ai retrouvé une liste qui m’a semblée être une liste d’invités.
Pierre