La visite du curé

Début des années 1950, visite du curé, salon de la maison de Mont-Rolland.

Marie-Rose a fait le ménage, même si c’est une pièce où ils ne vont jamais. Marc, grognon, a arrêté son moulin à scie et s’est rasé de près et s’est changé. On ne doit pas accueillir le curé en overalls

Marie-Rose fait entrer le curé Moreau – à moins que ce soit le curé Laurin – par la porte principale. Celle de la cuisine ne convient pas à un curé. Marc le salue; son sourire est un peu faux. Il pense au temps qu’il lui faudra reprendre pour livrer au bon moment les 2 par 4 qui lui ont été commandés.

En s’assoyant, le curé voit un livre sur une petite table, juste à côté d’une statue de Shirley Temple que Marie-Rose a gagnée à une tombola, « quand elle était fille ». Il le prend, lit le titre, puis le brandit en disant :

— Vous lisez La mère canadienne et son enfant, madame Guénette.

Marie-Rose, surprise, bafouille :

— Euh… oui. Mon deuxième fils est né en 1947. On donne des bons conseils dans ce livre. 

— Vous savez que les évêques canadiens ne conseillent pas la lecture de ce livre ? lui demande le curé.

Marie-Rose, piquée au vif, prend une grande respiration et dit :

— Sauf votre respect, monsieur le curé, les évêques ne doivent pas connaître grand-chose à l’éducation des enfants. 

— En conscience, je me dois, madame Guénette, de vous déconseiller cette lecture au nom de notre mère la sainte Église.

— Et moi, encore une fois sans vouloir vous offenser, je vais continuer à y trouver des bons conseils. Ma conscience, je m’en occupe. 

Un long silence suit. Le curé se retient de traiter Marie-Rose de « protestante ». Quant à Marc, en entendant les paroles de sa femme, il a blanchi sous son hâle d’homme qui travaille beaucoup à l’extérieur. On ne parle pas comme ça à un curé, même si celui-ci n’est pas particulièrement sympathique. Il a été élevé dans le respect de Dieu et de l’Église, sa représentante sur terre. C’est du moins ce dont il se rappelle du catéchisme auquel il a marché dans son enfance avant de faire sa première communion.

Comme si rien ne s’était passé, Marie-Rose dit au curé : 

— Une tasse de thé et des biscuits, monsieur le curé ?

— Non, merci, dit le curé qui ne semble ne pas digérer de s’être fait parler de la sorte. Je vais continuer ma visite chez les Latour. 

Il se lève et ne bouge pas. Ma mère comprend que c’est le temps de payer la dîme. Elle regarde son mari et lui fait un signe de tête. Celui-ci remet une enveloppe au curé. 

Le curé ouvre l’enveloppe et jette un coup d’œil à son contenu. 

Marie-Rose lui dit alors en souriant : 

— Ne vous inquiétez pas, le compte y est. Nous sommes de bons catholique, vous savez. D’ailleurs, voudriez-vous nous bénir ? 

Le curé s’exécute :

— In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. 

— Amen, répondent Marc et Marie-Rose. 

Puis, sans perdre de temps, Marie-Rose se dirige vers la porte. 

— Bonjour, monsieur le curé.

***

L’anecdote fera le tour de la famille de Marc. Yvonne, sa belle-sœur, rira à en perdre le souffle. D’autres lui feront un moins bon accueil. Heureusement, l’anecdote ne se rendra pas aux oreilles de Philias et de Léondina, les parents de Marc. Ils n’auraient sûrement pas apprécié. Quant aux parents de Marie-Rose, aucun danger. Joseph-Édouard est mort et aucun risque que Joséphine ne l’apprenne au Cap-Saint-Ignace où elle a déménagé après avoir été escroquée par son propre notaire lors de la vente de la terre ancestrale.

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1 Response to La visite du curé

  1. Avatar de Jacques Jacques dit :

    Merci pour la belle lecture. Nos parents se ressemblent à plusieurs égards mais pas nos mères. La mienne, comme ses sœurs, était très soumise au curé et s’est retrouvée avec 14 enfants et une fausse-couche.

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