Hier, j’ai connu la joie de me faire extraire une dent. En traversant le square Saint-Louis pour me rendre chez mon dentiste, un souvenir m’est revenu. Un souvenir sanglant, c’est le cas de le dire. 1951. Mon père doit se faire extraire toutes les dents. L’époque n’est pas tellement aux soins dentaires. Il prend rendez-vous chez un dentiste de Saint-Jérôme. Nous montons dans le camion, un samedi matin — il a donné congé à Rémi Latour qui travaille pour lui. Je suis assis sur les genoux de mon frère. Comme ils sont déjà rondouillets, je suis confortable. Nous attendons mon père sur un banc du parc qui fait face à la cathédrale, où se trouve une statue du curé Labelle. Soudain, mon frère dit : «Le v’là.» Mon père est méconnaissable. Premièrement le haut de sa figure, buriné par le soleil au fil des années à travailler dehors, est blanc comme un drap. Et sa bouche est rouge du sang qu’il essaie de contenir avec des morceaux de papier. On apprend alors qu’il s’est fait enlever les dents du haut sans anesthésie. Nous n’étions pas riches, et le 5 $ que coûtait l’anesthésie, était de trop dans le budget de mon père. Il reviendra la semaine suivante pour les dents du bas. Comme mon père se sent faible, ma mère dit à mon frère de conduire le camion. Il conduit depuis l’âge de neuf ans, mais dans la cour du moulin seulement, jamais sur la route. Il est tout fier — Raymond était un vrai gars de chars et de camions — de prendre le volant. Il n’a évidemment pas de licence… il a douze ans, peut-être treize. Cette aventure l’aura pourtant marqué à tout jamais. Il attendra d’avoir plus de soixante ans pour revoir un dentiste. Les hôpitaux lui causeront des chutes de pression. Il me remerciera tous les jours de m’être occupé de nos parents lorsqu’ils étaient hospitalisés. Il me conduisait et m’attendait dans son auto. 2004. Ma mère me dit, quand j’arrive à l’urgence de Fleury — on ne sait pas encore qu’elle y mourra dans une douzaine d’heures : «Vas guetter Raymond. Je veux pas qu’il rentre ici. J’ai pas envie qu’il s’écrase.» Malade, en fin de vie, elle pensait encorre à son grand garçon de soixante-cinq ans et ne voulait pas qu’il souffre à cause d’elle.
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