Raymond,
Permets-moi de malmener ton humilité et de raconter une belle histoire où tout le monde reconnaîtra tes qualités de cœur.
Mont-Rolland, le 12 août 1948. Un garçon de neuf ans assiste, impuissant, à la détérioration de la santé de son petit frère de neuf mois, dont la peau bleuit et enfle de partout. Selon le docteur Millette, l’enfant doit être transporté d’urgence à l’hôpital Notre-Dame de Montréal. La mère laisse le bébé une minute sous la surveillance de son grand frère, le temps de prendre une couverture. Un peu plus tard, le garçon de neuf ans voit sa mère, sa tante Simonne Rochon et son petit frère partir en taxi vers la grande ville. Lui, il reste sagement à la maison.
Le samedi suivant, avec son père, il descend en train à Montréal pour visiter son frère à l’hôpital. La mère est au chevet du bébé qui, heureusement, prend du mieux. Il n’est pas encore tiré d’affaire, mais il est sur la bonne voie. Au cours de la conversation, elle raconte qu’à leur arrivée à l’hôpital, quand l’infirmière l’a déshabillé, le bébé avait désenflé et sa peau avait retrouvé une couleur un peu plus normale. Même le docteur qui l’a examiné n’a pas compris que l’état du bébé se soit amélioré aussi rapidement. La mère ajoute qu’à sa grande surprise, elle a trouvé une médaille de saint Joseph sur le ventre du bébé. Elle se demande comment cette médaille a abouti là. Confus, le garçon de neuf ans avoue : « C’est moi qui ai mis la médaille sur son ventre. Je ne voulais pas que mon petit frère meure. »
Raymond, ce grand frère de neuf ans, c’était toi. Et le bébé mal en point, c’était moi. Notre vie à tous les deux venait de prendre un tournant. Malgré notre différence d’âge, malgré nos personnalités si différentes, bien que tu fusses « un Poitras » et moi « un Guénette », un lien très fort nous a toujours unis. Tu as toujours été là pour moi et j’ai essayé, tant bien que mal parfois, d’être là pour toi. Si j’ai fait à peu près tout ce que j’ai voulu faire dans la vie, c’est beaucoup grâce à toi. Tu as toujours suivi mes réalisations, me félicitant de mes réussites, me soutenant dans mes échecs.
Bien sûr, j’ai essayé de te rendre le plus possible tout ce que tu avais fait pour moi. Mais, moi, je n’ai pas pu te sauver la vie. J’aurais tant aimé, quand tu es entré à l’hôpital, le 3 novembre, déposer, moi aussi, une médaille sur ton ventre — une médaille de sainte Anne envers qui tu avais une dévotion, un legs de papa et maman — donner du souffle à ton cœur malmené, te voir prendre du mieux et te remettre de ta maladie. Au lieu de cela, je t’ai revu, diminué, sur ton lit d’hôpital, puis sur une civière, les yeux fermés. Mince consolation, mais tout de même, tes traits étaient détendus, comme si la mort t’avait rendu la sérénité.
Je te remercie d’avoir été mon grand frère.
Merci à Yvonne d’avoir si bien veillé sur toi jusqu’au bout. Merci à Christian, à Philippe et à Johnny qui étaient près de toi dans tes derniers moments, alors que, moi, je n’y étais pas. Je souhaite que papa et maman et tous ceux qui t’ont aimé t’aient organisé un magnifique comité d’accueil dans ta nouvelle vie, car il faut qu’il y ait une autre vie, ailleurs, quelque part, une vie renouvelée où je te retrouverai un jour.
J’espère que je ne t’ai pas fait pleurer. Je sais que tu n’aimais pas les émotions fortes. Mais je tenais à partager avec nos parents et amis ce dernier adieu.
Ton frère, Pierre
un bien beau texte!
Merci, Jacques. Mon frère me mange beaucoup. Nous n’étions que deux enfants. L’histoire est véridique. Je te reparle bientôt.