Après un long hiver

[On remarquera qu’en français classique, la liaison du mot « long » se fait non pas avec le «g», mais avec un «q» : un lonqu’hiver.]

Refaire surface après la neige, la grisaille, le verglas. Ressusciter — le mot est gros, j’en conviens.

Un long hiver de lectures. Des paysages et des émotions emmagasinés. Des voyages à bon marché, et toujours en première classe, chose que je ne pourrais plus me permettre. La «fortune», que certains de mes amis croient que j’ai, se réduit comme peau de chagrin. Ce n’est pas très grave, car la vieillesse s’installe de plus en plus dans mon corps et, comme elle n’est pas tendre avec moi, elle m’enferme plus ou moins dans mon appartement avec vue sur le fleuve. Cannelle, ma compagne de vie, me tient compagnie. Elle est vieille, elle aussi. Cet été, nous nous assoirons à balconville et nous lirons, du moins, moi, je lirai, et elle dormira sur mes genoux. Ou dans son condo estival qu’un tonton lui a offert pour ses dix ans.

À propos de la vieillesse, Catherine Cusset, dans sa «bio» de David Hockney, lui prête cette réflexion :

«La vieillesse était l’âge du grand nettoyage, l’âge auquel on avait pour désir d’arracher à l’oubli la beauté, qu’on ne voyait jamais mieux que lorsqu’on en avait fini avec le désir sexuel et l’ambition sociale.»

Le mot «nettoyage» me rappelle trop les purgations de mon enfance. Et les coloscopies qui ont découvert que j’avais un cancer — dont on m’a annoncé la rémission, la semaine dernière. Une bouffée d’énergie et de joie dans la grisaille d’une semaine d’hiver qui se prolonge jusqu’à l’écœurement. Des années qui ont cependant contribuer à vieillir plus vite. Même dans ma tête, car la chimio laisse des traces… Des chutes d’énergie, des moments d’absence, d’où je reviens parfois en me demandant où je suis et quel jour on est. Heureusement, si Cannelle est là, elle me sert de point de repère. Je la caresse, et l’angoisse se dissipe. Au cours des sept dernières années, elle a été mon infirmière dévouée, acceptant de ne plus se coucher sur mon ventre quand il était trop brûlé par la radiothérapie, se lovant sous mon bras qui n’avait pas été décoré d’un cathéter central et me ronronnant un chant si doux qu’il parvenait à m’endormir malgré la douleur.

Donc, au mot nettoyage, je préfère celui de lâcher prise. Je me permets même parfois de laisser aller et venir les obsessions qui m’ont pourri la vie… toute ma vie, ou presque. Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) m’ont habité dès ma tendre enfance — je crois même qu’au lieu de pleurer, quand on m’a sorti du ventre de ma mère, j’ai connu une première obsession. Bien sûr, je ne savais pas que j’en souffrais. Il me faudra attendre presque quarante ans pour qu’enfin, un médecin comprenne ce que je vivais et me prescrive une médication qui m’a soulagé de mes crises d’angoisse et de mon anxiété, qui étaient les basses œuvres de mes nombreuses obsessions. La médication m’a même permis de mettre fin à toutes les thérapies — nommez-les, je les ai toutes faites, je crois — où la parlote était généralisée, l’écoute plus ou moins attentive, et les honoraires exorbitants. J’ai lu, je crois bien, tout ce que le Nouvel Âge avait à offrir de techniques et de superstitions et tout ce que la psycho pop déclinait sur les rayons des librairies.

Et je ne parle pas de ce que la religion, à l’époque où j’étais en communauté, m’ordonnait de faire pour chasser ce que mon directeur spirituel appelait des «tentations». Quand je m’ouvris à mon supérieur au sujet des angoisses que je vivais chaque jour, il me dit de me rendre à la chapelle et de prier. À ses yeux, ma foi n’était pas assez fervente et seule la prière me ferait vaincre les pièges du démon. Chapelets, neuvaines, mortifications de toutes sortes (je ne m’arrête pas sur les détails) m’amenèrent non pas au paradis promis, mais à l’institut Albert-Prévost pour y être soigné. Honte sur moi! Shame on me! Mon supérieur m’ordonna, au nom de la sainte obéissance, de garder mes problèmes «mentaux» — il prononçait le mot en plissant le nez comme s’il y découvrait une odeur nauséabonde — pour moi. Mes amis —  les deux ou trois que j’avais — ne devaient pas être mis au courant. Mes rendez-vous chez le psy furent, à leurs yeux, des consultations chez un chiropraticien.

Donc, dans mon cas, médication et vieillissement ont fait bon ménage. Je vois désormais la vie en gris… C’est toujours mieux qu’en noir, même si, au fil des ans, je me suis découvert une amitié particulière — encore une réminiscence de mes années en communauté — pour cette absence de couleur.

 

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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