Fin d’année

Gabriel Matzneff écrit dans la préface du premier tome de son Journal : « Cette camisole de flammes (c’est le titre) est le journal d’un adolescent rebelle, d’un jeune homme réfractaire, d’un outsider qui n’allait jamais cesser de l’être, si cher que cela dût lui coûter, car la seule chose que la société ne nous pardonne pas, c’est de ne pas jouer son jeu, c’est de n’être pas conforme. Être différent, c’est être coupable. »

Si j’avais lu cela au cours de ma propre adolescence, si on m’avait permis de lire ces auteurs considérés comme sulfureux, peut-être me serais-je moi aussi révolté, résolument, contre ces vertus et ces valeurs dont on m’a gavé. Ce sentiment de révolte était pourtant là, en moi; mais on me disait que je devais le mater à coups de prières, de neuvaines et de chemins de croix. L’indignation et l’injustice aussi me brûlaient les veines. Même l’amour, pourtant si chaste, que j’ai pu éprouver alors m’était interdit. Je ne compris que plus tard pourquoi le directeur du collège me conseillait les mortifications et les douches froides.

Folies religieuses, folies vertueuses, folies de la conformité, qui me menèrent, au fil des ans, aux limites de l’autre, bien pire encore que celle du logis. Heureusement, un jour, mon médecin vit clair en moi. Il découvrit la profondeur de ma souffrance. Il sentit que je me dirigeais vers une frontière que l’on repasse rarement en sens inverse.

Quand un pseudopsy me demanda, à la suite du diagnostic de cancer que je reçus en 2011, pourquoi je me l’étais donné, j’aurais dû lui répondre, au lieu de lui cracher ma colère au visage, que la bête sommeillait en moi depuis toujours et qu’elle venait de se réveiller.

Maintenant que j’ai entamé ma soixante-dixième année, et que je suis proche de la fin de cette vie que je n’ai pas demandé à vivre, je n’aspire qu’à une chose, pour paraphraser Éluard : « sur mes cahiers de vieillesse, j’écris ton nom, Liberté! »

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About pgue

Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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