Exorcisme

J’exhume un texte caché dans mon ordinateur depuis 2011. Je ne sais pourquoi. C’est vrai qu’il parle d’une certaine intimité… Et qu’il semble faire un lien entre un problème physique et une « maladie mentale » dont j’ai souffert de onze à dix-huit ans. Je ne ferais sans doute plus le même lien depuis que je me suis bêtement fait demander par un psy pourquoi je m’étais donné un cancer. Une claque sur la gueule ne m’aurait pas fait plus d’effet.  Heureusement, j’ai eu la dignité de sortir de son bureau sans le saluer.

Voici donc l’exhumation en question.

30 août 2011. Je subis une intervention mineure en gastroentérologie. Ce domaine de la médecine ne traite pas l’une des parties les plus nobles de l’anatomie humaine, mais c’est comme ça. Dieu, ayant paraît-il, créé l’homme à son image et à sa ressemblance, a peut-être lui aussi un système gastrique. Même divins, ses boyaux n’en restent pas moins des boyaux. Cela aurait sans doute été plus élégant qu’on me retire quelque chose au cerveau, ou plus truculent si la région affectée avait été celle de mes parties intimes — on remarquera que je n’ai pas utilisé « sexy » ou « érotique », mais bien « truculent », signe que je ne me fais aucune illusion sur mes dites parties que j’ai pourtant exposées au grand jour pendant qu’on m’opérait. À ce moment, je suis plus préoccupé par l’allure comique que doit me conférer le petit chapeau en chiffon J bleu que l’on m’a placé sur la tête avant d’entrer en salle d’opération. Est-ce pour protéger mon crâne dégarni de la froidure ambiante? Je ne sais pas. Mais, comme je n’ai pas une tête à chapeau, je suis, disons, « préoccupé » — on remarquera l’usage d’un terme de la diplomatie — par l’allure que je dois avoir ainsi coiffé. C’est tout moi : j’ai le « fondement » exposé à la vue de celles qui m’opèrent et autres infirmières — on m’a prévenu le matin que je serais placé dans une posture dite « gynécologique » —, mais je me soucie plus de ce ridicule chapeau bleu. L’image de Gilles Duceppe me vient à l’esprit. Sauf que, moi, je n’effectue pas une visite; je suis visité. Assez de détails scabreux. Passons aux choses sérieuses.

30 août 1959. J’entre au juvénat Notre-Dame à Iberville. J’ai onze ans. Je quitte mon foyer pour la première fois. J’ai l’estomac noué et j’ai mal au ventre. Je ne suis généralement pas amateur de coïncidences ou de phénomènes paranormaux, mais j’ai l’intime conviction — c’est comme la foi, ça ne s’explique pas — que le problème « intérieur » dont j’ai souffert par la suite s’est noué, c’est le cas de le dire, en ce beau dimanche de fin d’été 1959. Ce jour-là a commencé sans doute le plus long et le plus douloureux mal de ventre de l’histoire! De la mienne, en tout cas. Que de visites, à l’infirmerie, je ferai : j’ai mal au cœur, j’ai mal au ventre, je vais vomir. Je suis bloqué — on n’utilise pas le mot « constipé », je ne sais pourquoi. Trop cru sans doute. Trop « signifiant », pour utiliser un terme de la sémiologie. On lui préfère « blocage », prononcé en se passant la main sur le ventre et en grimaçant juste assez pour que l’infirmier comprenne. Comme au temps du malade imaginaire, on traite encore ces maux avec des purgations, des émétiques et des lavements. Tout juste si l’on ne nous fait pas une saignée! Chaque fois, la douleur se montre plus forte que ma gêne. Je n’ai jamais été très fort sur le déculottage en public — ce qui explique peut-être aussi que je déteste tout ce qui s’appelle thérapie par le parlottage, le radotage et le remuage de déjections psychologiques. Heureusement, à une exception près, les frères qui s’occupent de l’infirmerie ne sont pas du genre « mets ta main », comme disaient, je crois, les Cyniques. L’exception près dont je parle nous faisait baisser notre pantalon, même si nous lui répétions pour la cinquième fois que nous avions mal à la gorge.

30 août 2011. Jour du grand exorcisme. On m’a extirpé le problème que je portais en moi — c’est le cas de le dire — depuis cinquante-deux ans. Quand je disais qu’il s’agissait sans doute du plus long mal de ventre de l’histoire… de la mienne, en tout cas.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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1 Response to Exorcisme

  1. Avatar de jrforget jrforget dit :

    Salut Pierre,
    Tu m’as fait bien rire même si le sujet de ta tubulure interne est un sujet sérieux. Je ne suis même pas certain si je t’écris dans la bonne boîte pcq je lis Été 2016 juste au-dessus. Tu as la bonne attitude quand vient le temps de parler sans complexe de tes bobos, je n’ai pas ce courage. Je passe au sujet suivant intitulé Après l’exorcisme en espérant pas me tromper. Je suis quand même plus âgé que toi.

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