Je hais les dimanches

Du moins, je les ai haïs pendant longtemps. Je ne les aime pas encore tout à fait. Je les ai longtemps considéré comme des pertes de temps.

Enfant, les fins de semaine passaient trop vite. Si je n’aimais pas le dimanche, c’était parce qu’il passait trop vite et que l’heure du dodo, très tôt, approchait. À cette époque, j’aimais l’école, mais normalement, sans excès.

C’est au collège que j’ai appris à détester les dimanches. Nous ne pouvions voir nos parents qu’une fois tous les deux mois. Et pas de parloir durant l’avent et le carême. Ça faisait plusieurs dimanches, longs à occuper et surtout à s’ennuyer. Et que dire du dimanche — enfin — où je devais avoir du parloir, mais, cela pouvait arriver, mes parents ne pouvaient pas venir à Iberville ou à Saint-Vincent-de-Paul. Je ne parle pas de mes deux années à Saint-Hyacinthe, où je n’ai à peu près pas vu mes parents et mon frère, si ce n’est le jour de ma prise d’habit et celui de ma profession.

Généralement, après les deux messes du dimanche matin et le dîner, nous avions «quartier libre», comme on dit dans l’armée. Dans nos mots à nous, cela s’appelait du temps libre. En période d’examens, nous passions ce précieux temps à étudier. En d’autres temps, on jouait aux cartes (j’ai déjà gagné un tournoi de 500 sans avoir jamais compris les règles du jeu), au mississipi, au hockey (pas moi, sûrement, sauf quand je consentais à arbitrer un match), au base-ball (jamais!) et à lire (le plus souvent). Je me souviens d’avoir lu plusieurs Bob Morane à la cachette, quelque part dans le grenier, car le frère directeur n’avait pas voulu m’autoriser à les lire. Mon cousin Léandre me les avait offerts. Le Bossu, aussi, de Paul Féval, je l’ai lu à la cachette. Combien de fois ne m’a-t-on pas encouragé à lire et à relire le journal de Gérard Raymond, un cousin de ma mère mort en odeur de sainteté. Son journal sentait la sainteté pas mal fort… Les joies de la foi et du cilice, qu’il portait pendant le carême. Faire pénitence pour le salut des âmes, tel était son objectif de vie. Heureusement pour lui, il est mort jeune, des poumons, comme on disait alors.

Avant de nous rendre aux Vêpres, à cinq heures, nous avions droit de regarder L’heure du Concile. Du moins, à partir de son annonce par Jean XXIII, le seul pape qui ait trouvé grâce à mes yeux, depuis. Émission fort ennuyeuse pour l’enfant que j’étais encore, puis pour l’adolescent que je devins, qui se forçait à trouver cela intéressant, le salut de son âme en dépendant. Parfois, une douce envie de dormir me prenait et je m’y laissais glisser. Délice du petit somme pendant que les autres se farcissaient L’heure du concile. J’ai bien dû me faire réveiller, une fois ou l’autre, mais je n’en ai pas souvenir.

Les dimanches n’ont jamais été les mêmes depuis. Et ça fait plus de cinquante ans de cela. J’ai toujours ressenti un inconfort certain, ce premier ou dernier jour de la semaine. Vivement, le lundi, que la vie reprenne. Quand j’étais amoureux, je trouvais qu’ils passaient trop vite. J’aurais voulu que la chaleur du lit se continuât longtemps, longtemps… En peine d’amour, les dimanches criaient la cruauté de l’absence, du lit vide. La cruauté d’une journée pour rien. Au moins, le lundi, la vie reprenait et mettait le chagrin en veilleuse. Habituellement,  du moins.

Plus je vieillissais, plus les amours s’espacèrent. Durant des années, il n’y eut personne pour réchauffer le lit, à côté de moi. J’appris alors, en désespoir de cause sans doute, à aimer les lits à une place, comme le titre d’un roman de Françoise Dorin, si je ne m’abuse. Je pratiquai une sorte de pensée positive pour me confirmer à moi-même que la vie était bien mieux en solitaire. Il y avait, bien sûr, Brume des montagnes, ce merveilleux chat, dont je n’étais pas le compagnon de vie officiel, mais que je gardais les fins de semaine. À cette époque, je marchais beaucoup. Randonnées après randonnées, j’essayais d’évacuer le vide intérieur en multipliant les kilomètres. Et quand je revenais à la maison, Brume m’attendait. Quel chat délicieux. Si doux et si pacifique. Le toucher, le flatter, c’était retrouver un calme intérieur. Ce chat était un thaumaturge qui s’ignorait.

Tantôt, le cœur un peu triste (toujours le spleen qui va grandissant plus j’avance en âge), j’irai m’étendre pour ma sieste du dimanche après-midi. Quelques minutes plus tard, Cannelle viendra se lover contre moi. Et je me dirai que, finalement, les dimanches ne sont pas si pires après tout. C’est fou ce qu’un ronron de chat peut nous révéler.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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