Cinquante ans! Grâce aux films 8mm tournés par mon frère, que Gilles Lamoureux m’a gentiment fait transférer, je peux revivre brièvement ce moment si important dans ma jeune vie : celui de ma prise d’habit chez les frères maristes. Malgré les années, malgré que je me sois beaucoup «sécularisé», pour utiliser un mot à la mode, je ressens toujours cette joie et cette fierté que j’ai ressentie en ce grand jour de l’Assomption 1964. Je faisais un pas de plus dans mon désir de me consacrer à Dieu — ce genre d’expression ne doit plus signifier grand-chose. Et pourtant, j’étais sincère dans mon engagement.
Comme tous les autres postulants, j’avais suivi la longue retraite de dix jours — c’est du moins le souvenir que j’en garde. Dix jours de prière et de silence. Pour moi, bavard impénitent, ce fut sans doute la chose la plus difficile. Si ma mémoire est bonne, un prédicateur ponctuait de ses sermons certains moments de nos journées. Il devait sans doute y en avoir un sur l’enfer, thème favori, à l’époque, des prédicateurs. Ces sermons infernaux me faisaient toujours frémir et jeter le doute en moi sur la pureté de mes intentions et, adolescent que j’étais encore, sur ma pureté tout court. Un an plus tard, je prononcerais mes vœux, et dans ma tête et mon corps, je ne suis pas certain que la pauvreté et l’obéissance me faisaient aussi peur que la chasteté.
Je n’ai pas été un adolescent boutonneux, mais si je souffrais de quelque chose, c’était de ma sensualité sur laquelle les frères directeurs et le maître des novices me faisaient travailler fort… Elle était, depuis un certain soir, au juvénat Saint-Joseph, où mon ami Jean-Pierre et moi avions été avertis publiquement des dangers des amitiés particulières, LA chose qui pourrait m’empêcher d’accéder à la vie religieuse. Il est vrai que je m’attachais facilement à ceux que j’appelais «mes amis». Cependant, si j’ai éprouvé de grandes émotions amicales, jamais je n’ai ressenti de désirs libidineux pour mes amis. J’avais un immense besoin d’affection que Dieu, Jésus, sa mère et la religion ne parvenaient pas à combler. J’étais une boule d’émotions à l’état brut. Je n’étais que vibration, me semble-t-il. N’avais-je pas découvert, en passant le test de caractérologie de Le Senne, que j’étais sentimental-nerveux-passionné-colérique? Le cocktail parfait!
À suivre.
Salut, Pierre,
Quel plaisir c’est de te lire! Tu ne peux pas savoir à quel point tes écrits me parlent. Sans doute parce que nous devons avoir des choses en commun … À ce que je puis comprendre, toi, ta grande sensibilité avec tout ce qui va avec, tu as dû la contenir pendant ta vie Mariste puis tu as choisi de la laisser s’épanouir dans la littérature et les arts. Moi, après le juvénat, à cause du bagage familial très macho et vu que j’avais les bras fins, je me suis senti obligé de travailler sur mon hommeté en travaillant chez les cultivateurs et en construisant des dune boggheys. Mais je voulais aussi sortir de la médiocrité de mon milieu et je suis entré au séminaire de Joliette. Mon cousin Paul Malo, lui, pourtant plus brillant que moi, a choisi de prendre une année sabbatique en conservant sa job de waiteur au St-Louis à Joliette; sa sabbatique a duré une quarantaine d’années et il est décédé l’an dernier d’une cirrhose du foie. Moi, je suis devenu un peu rebelle, après avoir laissé ma sensualité prendre le dessus et délaissé la confession parce que j’avais trop de péchés mortels non accusés. Puis, le bon père Drolet, csv, m’a fait pocher ma Philo II, je me le demande encore, si c’était parce que j’avais ridiculisé le mystère de la Sainte-trinité en demandant si le Saint Esprit avait un pénis ou si c’était plutôt parce que j’avais refusé ses avances. J’ai connu le découragement mais je pense que c’est mon orgueil qui m’a sauvé. Tu comprends bien que l’aîné d’une famille nombreuse, premier de clase depuis sa première année et un modèle pour les plus jeunes, se devait de se ressaisir pour garder son image et celle de la famille, et il est entré à l’université. Et tu connais la suite.
J’aimerais tellement voir le vidéo de ta prise d’habit, j’espère que tu vas l’apporter quand tu vas venir à Gatineau. BTW, nous sommes rendus à la mi-août et tu ne m’as même pas encore téléphoné. J’ai hâte de te parler et de te revoir. Si ce n’est pas possible pour toi de venir ici, dis le moi et je vais aller chez vous si ça te va.
A+
Jacques
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