Juvénat Notre-Dame, Iberville
Le sport et moi! Il y aurait de quoi écrire un livre entier sur mes mésaventures sportives. Une photo retrouvée me montre en culotte courte et t-shirt, un étrange « caluron » sur la tête. Je suis la maigreur incarnée. La nullitude se lit sur mon visage. Pourquoi mon frère m’a-t-il photographié, ce jour de la fête des parents? Inutile de vous dire que cette photo, je ne l’ai pas envoyée à G. L., qui gère les archives visuelles des maristes anciens et présents (les premiers sont en nombre supérieur). J’ai été suffisamment humilié durant ces années de jeunesse qu’il n’est pas nécessaire de perpétuer l’humiliation.
J’entends raconter ici certains exploits qui firent de ma malheureuse personne un comique… malgré lui.
Généralement — toujours, en fait —, j’étais choisi le dernier dans les équipes que ce soit au hockey, à la balle molle, au drapeau ou au ballon chasseur. Il arriva bien qu’un pire que moi me ravit mon dernier rang, mais ce fut l’exception. Chaque fois, j’entendais : « Guénette », de la voix découragée du chef d’équipe qui venait de me choisir — c’est une façon de parler. Il m’imaginait sans doute déjà courir après une rondelle que je semblais le seul à voir — on ne jouait pas au hockey avec des lunettes. Comme le chef d’équipe avait une imagination fertile, c’est ensuite à la vache qu’il me voyait, guettant du mieux que je le pouvais une balle qui viendrait peut-être dans ma direction, et que de toute façon je ne parviendrais jamais à attraper. Sauf la fois où je la reçus dans le front. Ce qui fut sans doute la farce de l’année! « Te souviens-tu de la fois que Guénette a reçu la balle en pleine face? On a tellement ri! »
Jamais autant que la fois où il s’est écrasé les bijoux de famille en se retrouvant à cheval sur les énormes élastiques du trampoline. Ou mieux : la fois où, après avoir pris un élan qu’il croyait parfait, il se donna un swing sur le tremplin et passa directement au-dessus du cheval allemand pour atterrir sur le tapis, qui semblait plus épais qu’il n’était en fait.
Il y en eut tellement de ces fois! Et le succès critique de mon jeu comique ne vint pourtant jamais. Même que le surveillant me demanda un jour si je faisais exprès pour faire rire les autres. Il fallait manquer de… d’intelligence ou à tout le moins de sensibilité pour croire que, héros comique, je risquais de me casser la gueule dans le seul but de faire rire. Il me punit même une fois, retenue durant un après-midi de congé, convaincu de ma culpabilité. Les clowns n’étaient pas tolérés dans sa tête de kapo. Il était le roi de l’humiliation. Je le pris en grippe pour toujours. Après les deux années passées sous sa férule, je bénis le ciel de partir vers les cieux de Saint-Vincent-de-Paul pour y faire mon grand juvénat. J’étais enfin débarrassé de lui.
Quatre ans plus tard, fraîchement arrivé au Scolasticat central de Montréal, je sortis, un matin, de ma chambre pour me retrouver… devant lui. Il était mon voisin d’en face! Cette fois, il n’était plus mon supérieur, alors, dans un cri du cœur qu’il n’oublia sans doute pas, je lui dis : « Pas encore vous! À croire que le ciel vous a placé sur ma route pour me faire suer! » Je ne me souviens pas des ruses que je déployai pour ne presque jamais aller à ses cours d’éducation physique. Pourtant, j’y parvins. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’une fois ou deux je me rendis au gymnase ou à la piscine pour la prise des présences et que je m’esquivai ensuite. Il fut le dernier à qui je parlai — un malheureux hasard — avant de quitter la frêtrise. Mon frère m’attendait dans sa Ford Galaxy 500. Mais, comme je n’avais plus rien à perdre, je me permis de lui dire que j’étais certain de ne jamais m’ennuyer de lui et que je m’empresserais d’effacer son souvenir de ma mémoire. Adieu, le garde-chiourme.
À l’évidence, ma gomme à effacer les mauvais souvenirs n’était pas de la meilleure qualité. Cette chronique en est la preuve.
À venir : Cauchemar 3 : rêver qu’on puisse être aimé quand on est arbitre au hockey.