Tu refais surface. Tu ressuscites… par numéros. Comme dans ces peintures où le paysage apparaît au fur et à mesure que l’on pose les couleurs selon leur numéro correspondant.
Tu as l’impression que les mois d’octobre et de novembre ont formé une longue parenthèse. Pas de sorties. Pas de restaurant. Fuite des lieux publics. Interdiction — du moins, forte recommandation — de prendre le métro ou de monter dans un autobus, surtout aux heures de pointe. Penser constamment à te protéger des virus ou autres bactéries. Laver ta laitue printanière déjà lavée, au cas où… Seule sortie autorisée : te rendre quotidiennement aux traitements dont l’heure varie chaque jour. Faire changer une fois la semaine le pansement qui protège le cathéter que l’on t’a installé au bras pour recevoir pendant huit jours un joli biberon de chimiothérapie au couvercle jaune pour faire printanier en ce pourtant bel automne. Et dormir la nuit, durant la matinée, l’après-midi, et plus si tu en trouves le temps. Tu aurais le goût de lire, mais tu n’en as pas la force. Alors, tu regardes la télé. Tu t’avachis devant ton poste. Ton pouvoir de discrimination semble en vacance. Tu regardes n’importe quoi pourvu que ça te fasse oublier ce dur moment qui se prolonge. Tu n’as surtout pas le goût d’écrire, comme tu te l’étais proposé. Tu avais même pensé tenir un journal de traitements. L’idée t’en a rapidement passé. Tu te regardes dans le miroir et tu déprimes. Tu perds tes cheveux sur le dessus de la tête et ils s’allongent furieusement sur les côtés. Si ça continue, tu devras te faire une «rené-lévesque»… Tu as des poches sous les yeux, le teint terne. Tu es malade comme tu ne l’as jamais été avant les traitements.
Un nuit, vers leur milieu, tu as fait un rêve, qui t’est resté en mémoire et en émotion. Tu avouais à ton frère que tu songeais à peut-être arrêter tout ce cirque. De sa voix autoritaire, il te répondait : «Tu sais comment j’haïssais ça les hôpitaux. Ben, tu vas les continuer, tes traitements, jusqu’au bout.» Curieusement, il n’a pas juré, lui qui avait le sacre facile en bouche. Au réveil, ce rêve était tellement clair à ton esprit que tu t’es demandé si ton frère ne t’avait pas visité… pour vrai. On ne sait pas. Peut-être qu’il avait obtenu un court congé du pays des morts.
Un mois est passé. Tu as reçu ton dernier traitement de radiothérapie le jour de ton anniversaire. Quel cadeau! C’en fut un malgré tout. En remontant du 5 SS de l’hôpital Notre-Dame, ce jour-là, tu t’es dit : congé demain. Et après demain. Si la vie est bonne pour toi, tu ne reviendras ici que pour ton suivi. Tu espères ne jamais avoir à te coucher à nouveau sous cet œil immense qui te bombardait de rayons.
Tu espères. Il ne te reste que cela, l’espoir. L’espérance d’une vraie résurrection où tu retrouveras tes forces, du moins celles de ton âge, et que tu pourras reprendre une vie normale. Car la parenthèse de l’automne n’avait rien de normal.
Quel beau titre ! Oui, je te la souhaite merveilleuse cette résurrection et moi, je crois, que ton frère est venu te visiter. Mais si ce n’est pas le cas, je dirais qu’il représente cette partie de toi qui, malgré la fatigue et la douleur, veut vivre et goûter pleinement à toutes les bonnes choses que cette vie nous offre et que tu sais si bien apprécier. Je t’embrasse et espère que nous pourrons retourner bavarder et rire ensemble dans un petit resto sympa en 2014.