Perfection

Tôt dans sa vie, on l’abonna à la « perfection » en tout. Ce mot ne fut jamais prononcé durant sa petite enfance. On peut cependant parler d’esprit avant la lettre. On ne dit pas le mot, mais on en fait deviner le sens…

Au juvénat, une sorte de serre destinée à la culture de futurs frères, la perfection devint son mot d’ordre. Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour le respecter. Au risque de sa vie. Sa vie psychologique surtout. L’atteinte de la perfection se transforma vite en obsession — il présentait un terrain fertile pour cela.

Au primaire, il avait vogué entre la première et la troisième place, lors de la remise mensuelle des bulletins. Les choses se gâtèrent quand il entra au juvénat et entreprit son cours classique. Il excella dans certaines matières (latin, français, anglais, histoire, géographie, religion, histoire sainte), mais d’autres provoquèrent chez lui des cauchemars, de jour et de nuit.

On lui entra de force l’algèbre et la géométrie à coups de règles de bois sur les jointures des mains. Il fut dispensé, une année entière, de labo de physique et de chimie parce qu’il faillit le faire sauter en s’adonnant à un mélange savant qui ne donna pas du tout le résultat escompté. Et son pire ennemi fut l’éducation physique. Sa maigreur, sa fragilité et sa maladresse firent de lui le pire des loosers, comme on dirait aujourd’hui, le fif à battre, et l’arbitre au hockey qu’on ne craignait tellement pas qu’un jour, au lieu de se diriger vers le banc des punitions, un joueur récalcitrant s’empara d’une rondelle et la lui splashoota dans le ventre. On ne craignit pas pour sa vie, mais il eut tout de même une pensée émue pour ses bijoux de famille auxquels il tenait, même s’il n’en avait pas l’usage à cause de son besoin de perfection qui lui intimait l’ordre de respecter le vœu de chasteté qu’il avait prononcé, quelques temps avant que ne survint ce que les autorités appelèrent un « accident », regrettable, bien sûr.

C’était aux temps anciens de sa longue entrée dans la vie religieuse. Son maladif besoin de perfection avait trouvé le lieu idéal pour se multiplier, tel un virus qu’aucun antibiotique ne peut guérir. Depuis, chaque jour, il doit affronter cet ennemi intime, tenter de le dompter, lui dire de respirer par le nez. Et il n’y parvient pas toujours.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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