3215 Arcand – 1

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« Je travaille Badine. »

Louise G., que tout le monde surnommait Loulou, t’a grandement impressionné en t’annonçant, en guise de présentation : « Je travaille Badine, au Conservatoire. » Tu ne connaissais pas encore grand-chose au théâtre, mais tu savais tout de même, pour l’avoir étudiée, que le « badine » en question était un résumé du titre d’une pièce de Musset. À cette époque, cela aurait fait terriblement « croulant » ou « vieille France » de dire que l’on travaillait une scène de On ne badine pas avec l’amour

Parenthèse

Quelques années plus tard, en 1972, tu faisais partie de la distribution — un tout petit rôle — de Maigrichon et Gras-Double, une série jeunesse réalisée par Hubert Blais. Un matin, Louise G. fit son entrée en salle de répétition. Tu t’approchas pour la saluer et lui rappeler que vous aviez été du même groupe d’apprentis acteurs au CEP. Grand bien te fasse! Elle t’ignora superbement, pour ensuite se lover dans les bras de Claude Michaud, le Gras-Double du titre de l’émission — le Maigrichon étant Daniel Gadouas. Tu aurais dû te douter qu’une « Conservatoire » ne se rabaisserait pas à faire la conversation à un « cours privé ». Tu vivais la même chose depuis quelques semaines avec un camarade, lui aussi petit rôle dans l’émission, à la différence qu’il était un « option théâtre de Sainte-Thérèse ». Vous jouiez pourtant les deux les policiers, quasi muets — toi, grand, très grand et maigre; lui, gros, très gros — sous les ordres du sergent Foudre (Louis de Santis, le merveilleux Bim de ton enfance). À part vos scènes communes, la grosse police ignorait totalement la grande police maigre.

Il te faudra quelques années encore pour devenir aux yeux de plusieurs de tes anciens compagnons, jeunes acteurs à leurs débuts, « parlable », le soir d’une première, par exemple. On avait annoncé que tu signerais une série jeunesse et, soudain, tu devenais payant, on t’ouvrait les bras pour te dire combien on était content pour toi; tu avais tellement de talent! Même un de tes anciens colocs, un « École nationale », te trouva tout à coup intéressant, lui qui, à la table du petit-déjeuner, ne te disait même pas bonjour. 

Comme Anouilh a fait dire à un de ses personnages de Colombe : « On s’aime beaucoup au théâtre. »

Fin de la parenthèse

Donc, ce soir du 17 février 1967, Loulou se joignait, comme toi et tes amis Laurent et Micheline, au groupe — presque fondateur — du Centre expérimental populaire (CEP), qu’animait Pascal Desgranges. Il y avait réuni autour de lui des finissants du Conservatoire et de l’École nationale de théâtre : Diane Arcand, Alain Gélinas, Claude Saint-Hilaire, Francine Beaudry, Réjean Roy, et d’autres. Paul Savoie et Mireille Rochon y faisaient comme toi leur entrée. 

Le CEP était ouvert tous les soirs de la semaine. On y présentait des spectacles de poésie, de chant, de théâtre, de mime. En premier lieu, ce furent les rencontres littéraires qui t’attirèrent, puis le théâtre te fit un clin d’œil et, avec Micheline et Laurent, tu décidas de risquer un pas vers l’inconnu. Comme les honoraires de Pascal Desgranges, le professeur de théâtre, étaient minimes, vous deviez vous engager, vous, les petits nouveaux, à servir le café, un ou deux soirs par semaine. 

À partir de ce moment, tu as enfin eu l’impression de vivre. Depuis ton départ de la communauté, tu ne sortais pas, si ce n’est pour te rendre à tes cours à l’École normale Jacques Cartier, où tu terminais ta formation d’enseignant. Un soir par semaine, ton frère t’offrait le cinéma : deux films, généralement d’action. Tu habitais, rue Arcand, chez les Saulnier, les beaux-parents de ta cousine Fleurette. Invariablement, tu passais tes fins de semaine à Mont-Rolland, chez tes parents. Tu parlais peu — eh oui! tu as bien changé — et tu t’y ennuyais beaucoup. 

Tu restais accroché au passé, à tes sept années de captivité. Depuis l’âge de onze ans, tu n’avais rien connu d’autre que la vie en communauté. Celle, bouillonnante, de ces années 1960 t’était étrangère. La serre chaude de la communauté, destinée à faire pousser et grandir des vocations religieuses, t’avait étouffé. Ton arrivée au CEP — tu en avais le pressentiment — changerait ta vie… « à petits pas, à pas menus », pour citer une pièce pieuse dans laquelle tu avais joué au juvénat Saint-Joseph. On ne passe pas de l’ombre à la lumière sans contrecoups. Tu avais un passé, comme on disait des « filles de joie », mais pas de présent. (Encore maintenant, tu te demandes si tu as eu une adolescence.)

Grâce à ton frère qui te mit en contact avec Micheline… qui te mit en contact avec Laurent… qui avait entendu parler du CEP… la vie s’ouvrait devant toi. Une autre vie, en tout cas. La littérature, le théâtre, la chanson: «les arts artistiques», comme dirait Clémence Desrochers quelques années plus tard dans un de ses monologues, t’ouvrait sur le monde… tout comme l’Expo 67 le ferait pour le Québec, quelques mois plus tard, en avril, au printemps.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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1 Response to 3215 Arcand – 1

  1. Avatar de Jacques R Forget Jacques R Forget dit :

    Bonjour, Pierre
    Tu ne vas probablement ne pas me répondre, encore une fois, parce que tu m’as flushé. Mais j’insiste quand même parce que je t’aime et que je t’apprécie comme ancien confrère et aussi parce que j’adore te lire. Si tu m’as flushé, c’est de deux choses l’une : ou tu es trop paresseux pour me répondre ou tu me détestes vraiment beaucoup. Je sais que ce n’est pas la première chose, je te connais trop. Si c’est la deuxième chose, je ne comprends vraiment pas, considérant que tu es plus intelligent que moi. Tu me détesterais à ce point parce que j’ai une position différente de la tienne au sujet de Jutras? C’est la seule chose que je vois. À l’âge où est rendu, je ne pense pas que ça vaille la peine de sacrifier une vieille amitié comme la nôtre pour une différence d’opinion. Les bons débatteurs se serrent la main après un débat. Dis-moi si je puis faire ou dire quelque chose pour changer la situation. Je sais que tu es super émotif, moi je ne le suis pas assez et ma femme te dirait que je puis être bête quand je donne mon opinion. C’est probablement le cas, ici, et je m’en excuse.
    Jacques

    Provenance : Courrier pour Windows 10

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