Au temps d’Opérations mystères

Dans le bosquet derrière la maison, ton «tétanoseur» paralysait les attaques de tes ennemis imaginaires quand, seul, tu jouais à Opérations mystères. Ton arme, un bout de bois rappelant vaguement la forme d’un pistolet, te protégeait des Vénusiennes et de la méchante Tanagra, leur chef. Elle te permettait de rejoindre, sain et sauf, tes amis Luc et Luce, les héros de cette populaire émission. Vous fêtiez vos retrouvailles avant de repartir vers de nouvelles aventures.

(Note d’octobre 2018. Tanagra était interprétée par Yvette Brind’amour; Luc et Luce par Hervé Brousseau et Louise Marleau; le professeur Narton par Marcel Cabay, et le robot Oscar par Percy Rodriguez.)

Au gré de ton imagination — ou de l’épisode de la semaine —, tes ennemis «dététanosés» t’apparaissaient subitement derrière un tremble ou un bouleau. Si tu ne voulais pas être à nouveau pris au piège, tout était à recommencer : sortir ton arme, la pointer dans leur direction, appuyer sur le bouton imaginaire et produire avec ta bouche le dgittt long et étouffé qui les replongeait dans leur immobilité de statue.

Certains soirs, le robot Oscar te faisait prisonnier et, quand la voix de ta mère te signifiait que tu devais rentrer, une angoisse terrible te submergeait : le lendemain, parviendrais-tu à t’évader des bras puissants du complice du professeur Narton?

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Vous étiez deux enfants, mais tu as été élevé seul. Quand tu as atteint l’âge de raison, ton frère, de presque neuf ans ton aîné, était déjà pensionnaire. Tu n’as pas souvenir d’avoir joué avec lui, sauf, peut-être, les fois où vous vous lanciez une balle, l’été après souper, quand la vaisselle était faite, et que ton père et ta mère s’assoyaient sur la grande galerie grillagée, à l’abri des maringouins, pour boire leur deuxième tasse de thé.

Il y avait plusieurs enfants dans le rang où tu habitais, mais chaque famille restait chez elle. Les Lamoureux s’amusaient entre eux. Et, non loin de là, mon grand ami Claude jouait avec sa petite sœur.

(Cinquante ans plus tard, un soir, une grande femme médecin entra dans la chambre de ton père à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Aussitôt qu’elle te dit son nom, Judith, tu reconnus  la petite sœur de Claude à qui tu tirais les tresses pour t’amuser. Elle-même se doutait que le monsieur Marc Guénette de Sainte-Adèle, qu’elle avait pour patient, ne pouvait qu’être ton père. Curieux hasard de la vie : la petite-fille de M. Jean-Baptiste, votre voisin en qui ton père avait toujours reconnu un homme bon, manifesta, généreuse de son temps, une immense bonté à ton vieux père qui revécut dans cette rencontre des moments heureux — même s’ils avaient été difficiles — de sa vie.)

*****

Toi, faux enfant unique, tu jouais seul, et cela a sûrement contribué à développer ton imagination. Tu n’as jamais souffert de la solitude, et tu n’en souffres toujours pas.

Au collège, tu la recherchais. Une fois que tu t’étais rendu, seul, au second bois — c’était le nom que l’on donnait à l’érablière jouxtant le cimetière de la communauté —, un comité d’accueil t’attendait à ton retour. Les deux surveillants, ton ange gardien — un grand de Syntaxe qui devait veiller sur toi, petit d’Éléments latins — et le directeur étaient là, dans la salle de récréation. Quand tu les as vus, tu as pensé t’enfuir, sans oser le faire. Le directeur t’a gentiment pris par le bras et conduit vers une immense pancarte collée au mur. Il t’a demandé de lire à voix haute ce qui y était écrit. Tu t’es exécuté, la voix tremblotante et l’articulation bégayante : « Rarement un! Jamais deux! Toujours trois! » La solitude n’était pas recommandable.

Quelques mois plus tard, on te la ferait relire, cette pancarte, cette fois parce que tu t’étais rendu à la grotte de l’Immaculée Conception avec ton ami C. Aucune gentillesse, cette fois, dans la voix du directeur. Vous auriez dû savoir, C. et toi, que les promenades à deux étaient formellement interdites. Mieux valait prévenir les amitiés particulières que les guérir! Après la solitude, l’amitié était désormais suspecte.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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