Chère Denise

Chère Denise,

En ces moments d’une infinie tristesse pour toi et ta fille, je t’offre ces souvenirs. Je suis sûr que ceux et celles dont il est question dans ce message d’amitié sont là avec moi pendant que je l’écris. Nous savons le grand malheur qui te frappe, et nous sommes avec toi pour le partager, pour tenter de le te le rendre plus doux, si la chose est possible. Même Louis-Marie, qui nous a quittés il y a déjà sept ans. Même Hélène, son amie gaffeuse à qui tous les malheurs sont arrivés.

Oui, nous sommes tous là pour te dire que nous t’aimons, chère Denise.

*****

Où? Je ne sais pas. À quelle occasion? Je ne m’en souviens pas. Par qui? Par Louis-Marie; ça, c’est certain. Quand? Vers le milieu des années 1970. Louis-Marie a fait les présentations :

« Denise, c’est Pierre. Il prépare une série pour enfants à Radio-Canada.

— Pierre, c’est Denise. Elle est comédienne, et elle est très bonne. »

Mes élans poétiques de l’époque me suggérèrent que tu étais la représentation parfaite d’une divinité nordique. Si belle! Un peu froide, tant qu’on n’avait pas entendu ton rire… De longs cheveux soyeux châtain clair. Un port de tête d’une dignité dérangeante.

« Pas comme Andrée Saint-Laurent, avait précisé Louis-Marie, mais tout de même remarquable. »

Dommage que le metteur en scène n’ait pas remarqué cet atout majeur chez toi quand il te dirigea si lamentablement dans Othello.

Peu à peu, au gré des entremises de Louis-Marie, je fis la connaissance d’une partie de votre groupe d’amis. Celui-ci s’était formé au hasard des professeurs de théâtre que vous aviez fréquentés. Vous étiez plus jeunes que moi, mais vous m’avez accueilli parmi vous sans discrimination. Chère Denise, pardonne à ma vieille mémoire qui s’égare peut-être dans les sentiers amicaux du jardin du Tendre de nos relations. Je vous ai tous connus, ou presque, à ce même moment. « Ou presque », c’est Diane, la toute première que je connus, à qui je tentai de partager les balbutiements du travail sur un texte. Cela fait presque cinquante ans de cela. Diane était encore une enfant…

Il y avait Marie-Christine, une beauté blonde et ténébreuse — oui, ça existe, et elle en était une glorieuse incarnation. Jacques, un Arlequino frondeur et taquin sous des airs angéliques. Diane, une tragédienne dans l’âme, une sensibilité à fleur de peau, qu’un rien faisait rire aux éclats, qu’un rien faisait éclater en sanglots, Diane que j’ai toujours considérée comme une réincarnation d’Athalie. Jacqueline, réservée au premier abord, mais qui savait lâcher son fou quand l’occasion se présentait. Jacqueline qui savait adoucir les relations parfois tendues que nous avions avec Gaétan. Et Louis-Marie, bien sûr, l’entremetteur, le grand enfant qui ne vieillissait pas, du moins pas encore… Il y en a eu sûrement d’autres, mais la mémoire est une faculté qui oublie, surtout quand elle approche les soixante-dix ans…

Tout ce beau monde a fait carrière dans le théâtre, chacun à sa façon. En ce qui me concerne, j’ai eu le plaisir de travailler avec quelques-uns d’entre eux. Dans le petit monde du Grenier, Jacques a incarné le frère de Sadhu Bidishah. Marie-Christine a joué le rôle d’une jeune amie de Frimousse. Et, toi, Denise, tu héritas de la voix de Pondichéri, la boule de cristal adorée de Sadhu. Durant des années, on n’entendit que ta voix. Pondichéri se moquait de son fakir de maître sans élèves — il n’en eut qu’un seul et il n’était pas là pour l’accueillir —, le consolait dans ses peines, l’aidait à résoudre de graves problèmes. Jalouse d’Échalote, la couleuvre de Sadhu, Pondichéri menaça même, dans une de ses rares colères, de la foudroyer. Dans le dernier épisode, par un tour de passe-passe dont elle avait le secret, elle apparut en majesté, sous tes traits, couronnée et habillée de cristal. Tu étais resplendissante. Gérard Poirier ne put retenir ses larmes en te voyant si belle. Il te récita même quelques vers de Britanicus à propos de la beauté surréelle de Junie. Tu chantas, tu dansas avec Dollard et ses amis. Et, redevenue boule de cristal, Pondichéri partit sur les chemins avec Sadhu, acceptant même de le partager avec Échalote, la petite couleuvre.

Quelque temps après la fin de la série — je n’ai pas toujours une bonne relation avec le temps —, tu nous appris que tu te mariais avec Kurt, un grand monsieur mystérieux, qui, d’une gentillesse inimitable, essayait de nous parler en français, sans, toutefois, y arriver de manière convaincante. Et tu partis, toi aussi, sur les chemins vers la Floride.

Plusieurs étés durant, tu vins visiter tes parents et ta famille. Et tes amis! Un beau jour, tu nous as présenté Yasmine, que nous avons vue grandir, à chacun de tes séjours à Montréal. Tu ne nous as jamais oubliés. Nous non plus, tu le sais.

Quand Louis-Marie vécut des problèmes personnels, tu étais branchée, à distance, sur lui. Il t’arriva même de me téléphoner au petit matin pour me dire que Louis-Marie n’allait pas bien, que tu en étais certaine, que tu le sentais, que cela t’habitait. Sorcière un peu, mais si belle et si douce!

À l’été 2012, nous nous sommes réunis autour de toi, le temps d’un souper vietnamien. Tu étais radieuse « telle qu’en toi-même Dieu t’a créée ». Kurt souriait de te voir si heureuse. Et, coup de théâtre, Yasmine a fait une entrée des plus remarquées dans le restaurant. Nous sommes restés sans mot devant sa beauté, ses yeux, sa vitalité… et son français qu’elle avait la gentillesse de parler aux amis de sa mère. Ton portrait, chère Denise. Si nous sommes restés muets en la voyant, c’est que nous te retrouvions en elle. Kurt aussi, bien sûr, mais, nous devons l’avouer, nous avions un parti pris en ta faveur. Soirée radieuse, où ton rire fusait comme dans le temps. Rien n’avait changé entre nous.

Je ne reviendrai pas sur les événements qui nous ont fait nous retrouver à nouveau. Sois assurée cependant que nous, tes amis, les portons en nous. Nous te portons, toi, chère Denise, dans nos cœurs. Yasmine y a bien sûr une grande place. Et nous gardons un souvenir ému de Kurt, l’homme mystérieux qu’il sera toujours resté à nos yeux, du moins aux miens. Nous nous souviendrons de ses bras chaleureux qui nous ont enveloppés, à l’heure des au revoir, après le souper mémorable de 2012.

Voilà, chère Denise, ces mots que nous voulions te dire. Ils t’arrivent un peu sur le tard; le temps m’a manqué.

J’espère que tu viendras nous voir. Yasmine commence à travailler demain, 1er juillet à Union College, Schenectady NY. Je sais que tu l’aideras à s’y installer. Ce n’est pas très loin de Montréal… On se réunira. Tous ensemble, nous représenterons des centaines d’années d’amitié et d’amour.

Nous t’aimons, chère Denise. Et nous aimons Yasmine comme toi-même.

Tes amis

P.-S. Ce soir, je lirai le recueil de poèmes de Kurt, que j’ai enfin reçu, en écoutant le disque de Yasmine. Ce sera une soirée en famille, puisque tu seras dans mes pensées, chère Denise.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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