Abécédaire — T

Télévision

Opérations mystères a marqué les enfants de ma génération. À la radio, j’écoutais tante Lucille raconter des histoires, et Zézette, le samedi matin, faire des coups pendables qui faisaient damner son père. Mais tout se passait dans ma tête; je ne voyais pas les personnages. Heureusement, car mes yeux d’enfant auraient été bien étonnés de voir que Jeanne Couët, l’actrice qui prêtait sa voix à Zézette, était probablement plus vieille que ma mère. Et quelle n’aurait pas été ma surprise de découvrir que le père Didace, celui d’Amable dans Le Survenant, était aussi le père de Zézette. Ovila Légaré jouait les deux personnages, mais, dans ma tête d’enfant, je ne savais pas encore ce qu’était un personnage.

La télévision – elle entra chez nous en 1955 – changea nos vies, mais il n’était pas question de l’ouvrir avant le chapelet en famille de CKAC avec le cardinal – « Montréal, ma ville, tu t’es faite belle pour accueillir ton prince » – Léger. Certains soirs, je priais Dieu de m’épargner le chapelet, car je ne voulais pas manquer le début de Ciné-Feuilleton. Mais rien n’y faisait; ma mère allumait la radio… « Étoile du matin, Reine du saint Rosaire », chantait une voix nasillarde. C’était le signal que le moment était venu de se mettre à genoux et de prier.

L’arrivée de la télévision enflamma mon imagination, que j’avais déjà très fertile. Je découvris grand-père Cailloux et son ami Frisson de colline dans Le grenier aux images, puis Pépinot et Capucine. Ensuite, ce fut le Grand-Nord avec Kimo, Moko et Arthur, le pingouin. Et, plaisir suprême, les espaces intersidéraux dans Opérations mystères. Chaque épisode était longuement commenté, le lendemain matin, dans le taxi qui nous amenait, les autres enfants du rang et moi, à l’école. Claude Latour, Raymonde, Jean et Paul Lamoureux, même Pauline et Colette Latour, deux cousines qui étaient maîtresses d’école, tout le monde tentait de prédire ce qui arriverait à Luc et Luce Falardeau, nos héros préférés. Chaque épisode se terminait sur un suspense qui, parfois, nous glaçait le sang. Nos héros n’avaient pas que des amis dans le monde intergalactique qu’ils visitaient. Tanagra, une méchante Vénusienne, leur faisait la vie dure. Heureusement que les Vénus masquées étaient là pour les aider à s’enfuir! Et je crois que certains Martiens leur voulaient aussi du mal.

Des années plus tard, je me retrouvai, jeune acteur, dans un spectacle avec tante Lucille. Mon ami Beaupré et moi jouions deux lutins de tante Lucille, respectivement Trois Poils et Cinq Étoiles. Curieux détour de la vie qui me fit rencontrer celle qui avait bercé mon enfance de ses contes.

J’éprouvai aussi des sentiments difficiles à décrire quand, dans les années 1970, je travaillai dans le film Ti-Cul Tougas et me retrouvai à crier des insultes à Guy Lécuyer, le Moko de mon enfance. Puis, à la première répétition de Mantilles et Mystères au Gésu, je faillis me transformer en statue de sel en voyant que je partagerais la scène – bien humblement, dans mon cas – avec Louise Marleau, la Luce d’Opérations mystères. Plus tard encore, quand je travaillai pendant des années avec Hélène Loiselle et Gérard Poirier, je portai toujours un certain regard d’enfant sur eux. N’avaient-ils pas été, elle, une bonne Vénusienne, et lui, un bon Martien dans la même série? Et qui plus est Hélène Loiselle était la sœur de Kimo, mon autre « Esquimau » préféré — nous ne savions même pas alors que le mot Innu existait. Je n’eus jamais la joie de rencontrer Paule Bayard, le pingouin Arthur de ce joyeux trio du Grand-Nord et l’inoubliable voix de Bobinette — l’originale, la vraie.

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Auteur, rédacteur, scripteur et «prête-plume», comme on dit maintenant dans le métier.
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