Rien n’y pourra changer; tu es « sur terre pour y rester » — on excusera ici le calque sur l’anglais. Souvent, tu caresseras l’idée de disparaître, de partir, de t’en aller loin, ailleurs, tu ne sais trop où. Car l’après te « pose question », pour utiliser un vocabulaire déjà vieilli. On se « posait beaucoup question », dans les années 1980. Tout nous interrogeait, nous parlait. Tout ou rien, la même chose finalement. Ah! le vide infini de cette décennie!
L’enfant malade, « en difficulté respiratoire », comme on dirait maintenant, le bébé qui venait de naître ne savait pas, heureusement, dans quoi il s’embarquait. Il n’avait rien demandé, lui. Ses parents — plus probablement son père, car sa mère ne lui a jamais paru portée sur la chose — avaient accompli l’« acte d’amour », euphémisme pour «sacraliser» un acte plus ou moins propre, que la presque majorité des épouses d’alors endurait, espérant que le mari finisse par finir ce qu’il avait entrepris, un acte relevant plus de l’instinct et de la mécanique que de l’amour. Tu te souviens d’une sorte de comptine entendue durant ta jeunesse — tu n’y avais alors rien compris :
Ouv’ la pat’lette / R’lève la jaquette en flanalette…
Édifiant. Et sûrement assez près de la réalité de l’« acte d’amour » tel que pratiqué à l’époque chez les couples catholiques obéissants. Combien de fois entendras-tu ta mère et tes tantes parler tout bas de l’ennui ou du désagrément de cette chose qu’elles s’entendaient pour ne pas nommer! Leurs maris ne semblaient pas s’être montrés de bons mécaniciens…
Un médecin de l’époque, qui sévissait sur les ondes radiophoniques, répétait à l’envi qu’il n’y avait pas de femmes frigides, mais que des hommes maladroits. Un père dominicain, qui sévissait lui aussi sur les mêmes ondes, répétait, à l’envi lui aussi, que l’essentiel, c’était le ciel, et que tout le reste n’était rien en comparaison. Incroyables, tous les sévices radiophoniques que les oreilles des auditeurs d’alors ont pu subir! Ils ne savaient pas encore que nous en subirions de pires, si nous habitions la région de Québec et que nous écoutions leurs radios.
Tu as été le « fruit de l’amour » — décidément, tu multiplies les citations —, c’est ce qu’on t’a dit en tout cas. Pas tes parents. Ils n’ont jamais prononcé de telles inepties, heureusement. Non, en fait, ils ne t’ont jamais parlé de quoi que ce soit, même pas des oiseaux ou des vaches de monsieur Latour qui vêlaient — on aura compris que ce n’était pas lui qui vêlait, mais bien ses belles et grasses vaches qui paissaient paisiblement dans le champ derrière chez nous. Les sœurs, au couvent pendant ta deuxième et troisième année, puis les frères au collège jusqu’à la fin de ta septième année, répéteront que tous, nous sommes les fruits de l’amour. Amour de Dieu, en premier lieu; puis, amour de nos parents. Rien à voir avec le tube de Moïra, en 1964, qui chantait : C’est le fruit de notre amour, que je porte dans mes bras. Rien, non plus, avec cet autre tube, de Nicole Martin cette fois, une vingtaine d’années plus tard : C’est un enfant de toi, mais tu ne le sauras pas…
Parenthèse
Tu t’es amusé à faire du lipsync — oui, le mot français est surjeu — sur la chanson de Nicole Martin, quand tu partageais un appartement avec un ami. Tu mettais la chanson, pleine force, et tu entrais dans son salon en la mimant. Effet bœuf garanti. Car l’ami en question n’en pouvait plus d’entendre Nicole Martin, qui, à cette époque, t’aidait à te remettre d’une histoire d’amour non partagée… comme toutes les histoires d’amour que tu as vécues, sauf la dernière, qui dure depuis bientôt vingt-cinq ans. Tu étais le comble de la midinette, peut-être faut-il désormais écrire midinet. Avant Nicole Martin, Véronique Samson, Nicole Croisille et plusieurs autres t’ont apporté leur soutien quand tu naviguais, toujours péniblement, sur les flots agités de ta vie amoureuse. Tu as même écrit le texte d’une chanson, que ton ami Louis-Marie a chantée à Boubou dans l’métro : Mes amours sont des paquets de problèmes qui ne riment jamais avec je t’aime… Pas fort, à bien y penser, mais dans le goût de l’époque. Une chanteuse t’approcha même pour que tu lui composes une dizaine de chansons. Mais la commande créa plus d’anxiété que de créativité chez toi, et, finalement, tu la déclinas.
Fin de la parenthèse.
À suivre.