La semaine dernière, promenade champêtre dans les Basses-Laurentides: Oka, Saint-Eustache, Saint-Placide, Saint-Benoît, qui s’appelle maintenant Mirabel, de mauvaise mémoire.
Gilles Vigneault vit à Saint-Placide. Claude Léveillée, lui, est mort à Saint-Benoît. Léveillée qui a tant marqué mon adolescence et mes années de jeune adulte. Je n’étais pas très Beatles, ni culture anglophone. Un immense frisson m’avait parcouru en entendant la voix du général De Gaulle, au balcon de l’hôtel-de-ville de Montréal. Son vivat au Québec libre m’avait marqué en profondeur. Et j’ai plongé dans notre culture québécoise, que nous découvrions. Il avait fallu qu’un étranger vienne nous réveiller! C’est bien nous!
Alors, je collectionnais la musique québécoise, pas nécessairement celle à la ceinture fléchée que je trouvais par trop folklorique, mais celle de nos chansonniers. Félix Leclerc et autres chanteurs, un pied sur une bûche, m’ennuyaient un peu. Pour utiliser un mot à la mode maintenant, je crois que je ne les trouvais pas assez «urbains». À part Claude Gauthier qui, originaire d’une profonde campagne des Laurentides, n’en chantait pas moins des émotions qui me rejoignaient. Mon épisode «retour à la terre» se fera bien plus tard. Et il sera de courte durée. Deux années au bord du Richelieu. Un hiver à Mont-Rolland. Un été à Entrelacs. Et c’en fut fait de la campagne. J’avais donné.
Claude Léveillée, donc, a marqué ma vie. Encore ensoutané, je l’écoutais dans une des salles communes du scolasticat — mon frère me prêtait ses disques. Surtout ce microsillon où il me parlait de Frédéric — la famille à laquelle j’avais renoncée pour en rejoindre une autre pour laquelle je n’ai à peu près pas développé de sentiment d’appartenance —, de La scène — mon rêve fou, et si précieux, de théâtre —, et surtout des Rendez-vous…
«Garderez-vous parmi vos souvenirs, ce rendez-vous où je n’ai pu venir […] Ces rendez-vous, que l’on cesse d’attendre, existent-ils en quelque autre univers, où vont aussi les mots qu’on a pas pris le temps d’entendre et l’amour inconnu, que nul n’a découvert.» Je me demandais, grand adolescent efflanqué romantique, où allaient justement ces mots. J’y ajoutais même une catégorie : ceux qu’on n’a pas prononcés par gêne, par peur du rejet. Se logeaient-ils quelque part dans un coin de notre cerveau pour mieux resurgir plus tard, quand il n’y aurait plus aucun danger qu’ils soient prononcés, parce que ceux à qui on aurait voulu les dire ne seraient plus là pour les entendre? S’ils avaient été prononcés, auraient-ils changé quelque chose? Auraient-ils causé un malaise encore plus grand?
Et ces rendez-vous ratés, où vont-ils? Disparaissent-ils des agendas de la vie? Restent-ils suspendus quelque part à un fil qui s’amincit de jour en jour et qui finit par disparaître?
Mes histoires de camaraderie, d’amitié ou d’amour, qui n’ont pas eu de fin, sont perdues pour toujours. Aucun moyen d’en renouer le fil. Elles sont des occasions ratées, des non-événements. Elles n’apparaîtraient même pas dans mon passif, si j’en tenais la comptabilité.
Elles m’ont fait faire l’apprentissage de la solitude. Difficile, au début. Très dur, même. Mais, peu à peu, les années passant, la solitude est devenue «presque une amie, une douce habitude», encore les paroles d’une chanson. De Moustaki, celle-là. «Non, non, je ne suis jamais seul avec ma solitude.» Depuis, je la cultive, je la préserve de toutes intrusions. Elle est devenue un bien précieux que je n’ai partagé qu’avec les chats de ma vie. Nous en cultivons ensemble le jardin secret.
Malgré tout, j’ai toujours gardé le souvenir des mots que je n’ai pas osé prononcer et qui n’ont aboutis à aucun rendez-vous. Surtout au premier, qui avait revêtu une importance inégalée et qui ne se représenta jamais plus.
Le temps est rond, je tourne autour avec les hirondelles…
Tes mots me touchent et toi aussi.