Paresse? Un peu? Travail absorbant? Aussi. Toujours est-il que je n’ai pas l’esprit créatif, ces temps-ci. Alors, j’ai décidé de recycler mes textes de mon ancien blogue qui est mort sans que je reçoive d’avis de son décès.
Voici donc ma première reprise.
Cauchemar 1
Nuit éprouvante. Nuit d’orage dans mes rêves.
Comme c’est le cas de plus en plus souvent, un rêve où je suis humilié. J’ai beau essayer de m’affirmer, de tenir tête, je me réfugie dans un silence lourd, attendant que la tempête de rires, de paroles blessantes et de mauvais jeux de mots passe. Et elle ne passe pas vite. Elle s’étire, semble se retirer pour mieux attaquer à nouveau et creuser bien profond le sillon de l’humiliation.
Les lieux changent, mais l’intensité, la terreur de l’humiliation, elle, ne change pas. Mes rêves me font revivre avec une précision douloureuse des événements de ma vie que je croyais avoir oubliés.
Mont-Rolland, École Saint-Joseph, 6e année
Je suis nul en sport à l’exception du Mississipi. C’est tout dire. Pourtant, un jour de printemps, à la récréation du midi, je frappe un coup de circuit à la balle molle. Je n’en crois pas mes yeux. Je ne crois pas mes oreilles non plus d’entendre les encouragements de mes coéquipiers, habitué que je suis d’essuyer leurs huées et leurs moqueries. Je suis un premier de classe, mais cela ne me confère aucune notoriété. Je chante des solos dans la chorale ainsi qu’aux mariages avec ma cousine Jeannine, et je connais un certain succès dans les pièces pieuses que les frères montent chaque année pour la fête de Monsieur le curé. Rien cependant pour m’élever aux yeux de mes congénères. À Mont-Rolland, dans les années cinquante, les arts « artistiques », comme a déjà laissé échappé un ministre de la Culture du Québec, ne font pas une réputation de vrai gars.
Donc, je cours en prenant bien soin de toucher aux trois buts, et je rentre au home sous les applaudissements de mes coéquipiers. J’ai à peine le temps de quitter l’aire de jeu, fier de mon exploit, que F., la « petite terreur », me crie que c’est une erreur, que j’ai triché, que le pitcher m’a aidé en m’envoyant une balle facile. J’ose lui répondre qu’il peut rire s’il veut, que, pour une fois, j’ai été meilleur que lui. Je lui lance même un défi : quand ce sera son tour, qu’il essaie de faire mieux que moi s’il est capable. J’aurais mieux fait d’avoir la victoire humble. J’aurais mieux fait de ne pas oublier que F. règne sur les autres, surtout sur les plus faibles comme moi, à coup de menaces et de chantage.
Bang! F. vient de m’asséner un coup de poing « sua gueule », comme il a coutume de dire. Il m’avait déjà dit qu’un jour, il me pèterait la face. Cette fois, c’est vrai. Je ne sais pas comment réagir. Je sais bien que je n’aurai jamais le dessus si je décide de lui rendre son coup. Leduc, un de mes amis, me crie de lui faire saigner le nez à mon tour. Mais je suis dans un état second. Je ne bouge pas. Ma paralysie passagère et mon mutisme, sans oublier le sang qui coule de mon nez, vont vite me transformer de héros en victime feluette. Même les gars de mon équipe, les mêmes qui m’encourageaient il y a quelques minutes, sont pliés en deux de rire. Ils se moquent de moi, me traitent de peureux. Je ne bouge toujours pas. Je fixe le sol à mes pieds sans vraiment le voir. Je voudrais être ailleurs. En fait, je voudrais disparaître comme par enchantement. Ou m’écrouler, mort, pour que F. et tous les autres aient des remords jusqu’à la fin de leur jour.
Je ne me rappelle plus comment cela s’est terminé. Le frère surveillant s’est sans doute mêlé de la situation. F. a dû être puni. En moi, l’humiliation est entrée pour n’en jamais ressortir.
Deux ans plus tard, la terreur de Mont-Rolland arrivait à son tour au Juvénat Notre-Dame, à Iberville. En le voyant, je portai ma main à mon nez et vérifiai si, par un malheureux hasard, il ne saignait pas. Heureusement, ce n’était pas le cas. Mais, les deux années que je passai en sa compagnie, je me tins loin de la petite terreur sur deux pattes.
À suivre : Les joies du sport au juvénat. Comme on le découvrira, la « charité », la plus belle des vertus, nous disait-on, n’était pas toujours au rendez-vous.