Sur la photo, le jeune homme a l’air heureux.
C’est le printemps. Pâques approche. Les frères scolastiques ont quitté la ville pour rejoindre ce que d’aucuns considèrent comme une sorte de paradis, sur les bords du Richelieu.
Mais le jeune homme n’est pas si heureux qu’il en a l’air. Sa vie s’apprête à changer. Et il doit l’annoncer à ses parents. Il a eu l’imprudence de les inviter à le visiter…
Ce lieu, le même que celui où, sept ans auparavant — il n’était encore qu’un enfant —, ses parents sont venus le conduire au juvénat, un dimanche d’août. Sa mère a essuyé ses larmes après l’avoir embrassé. Son père lui a donné la main. Après être remontés dans la Ford vert sapin, ils sont repartis pour Mont-Rolland, où la grande maison leur paraîtra désormais bien vide. Le plus vieux travaille à Montréal, et ils viennent d’abandonner leur benjamin à Dieu. Seule la conviction du devoir accompli les console. Maigre consolation.
Le soir, le directeur a dit aux juvénistes réunis que Dieu les appelait, que la vocation, c’était du sérieux, qu’ils apprendraient lentement, mais sûrement à tout quitter. Et gare à ceux qui ne répondraient pas à l’appel!
L’enfant a été tétanisé. Dans quoi s’était-il embarqué? Il n’avait que onze ans, et déjà, la damnation éternelle le menaçait, s’il ne suivait pas ce chemin tout tracé qu’il n’était plus tout à fait certain d’avoir choisi.
Dans les années qui suivront — juvénat, postulat, noviciat, puis scolasticat —, le petit garçon vieillira, mais il ne sera jamais vraiment heureux. Il pensera souvent à partir… Il priera pour résister aux appels du monde, pour garder les yeux fixés sur l’idéal…
Le jeune homme qui ne semble pas heureux sur la photo se rend compte que ses prières n’ont servi à rien. Il n’est même plus sûr qu’il y ait quelqu’un « au bout de la ligne » quand il prie. Il a décidé encore une fois de tout quitter, mais à l’inverse de la première.
C’est la nouvelle qu’il doit annoncer à ses parents. C’est à cela qu’il devait penser quand la photo a été prise. Il a le regard absent. Il tourne les mots dans sa tête, ceux qui lui faciliteront l’annonce de son départ.