Une photo. Ma mère a écrit la date au dos : septembre 1953.
Je me tiens droit, sac au dos, devant la Ford vert forêt de mon père. On ne distingue pas ce détail sur la photo qui est en noir et blanc.
Première journée à l’école maternelle — privée — de mademoiselle Claire. Je n’ai pas l’âge d’entrer à l’école publique. Comme je sais déjà lire, écrire et compter — ma mère est une ancienne maîtresse d’école —, il n’est pas souhaitable que j’attende un an avant de faire mon entrée dans le monde scolaire.
J’ai hâte, même si c’est la première fois que je quitte la maison pour aussi longtemps : toute une matinée! La seule fois où je m’en suis absenté, j’avais neuf mois et j’avais dû être hospitalisé d’urgence (Mont-Rolland/Montréal en taxi!). J’ai relaté cet événement dans une chronique de mon défunt blogue. Je possède quelques souvenirs photographiques de cette hospitalisation, dont un dans les bras de tante Germaine, où je porte un magnifique petit bonnet…
Pour l’heure, je m’apprête à partir pour l’école. Mon père m’y conduira tous les matins de l’année scolaire. Le taxi qui voyage les enfants du rang n’accepte pas les élèves du privé.
Mon sac d’école est neuf et tout ce qu’il contient aussi : crayons et gomme à effacer dans un beau coffret que mon père a confectionné exprès pour moi — même mon frère n’en a pas eu un aussi beau —, un cahier à double lignage, où j’ai déjà écrit mon nom, un manuel de français qui restera gravé dans ma mémoire à cause de l’histoire du bonhomme dans la lune. Une histoire à faire peur qui servait à illustrer je ne me souviens plus quelle lettre de l’alphabet. On y racontait que, les soirs de pleine lune, on pouvait y distinguer un homme qui sciait du bois. Pourquoi avait-il décidé d’y aller scier son bois? Il ne l’avait justement pas décidé… C’était une punition du « Bon Dieu » parce qu’il s’était adonné à cette activité, un dimanche, le jour du Seigneur!
Mon père monte dans la voiture avec ses overalls. « Vite, Pierre, me dit-il, j’ai pas juste ça à faire… » Nous partons. En me retournant vers la maison, je crois bien voir ma mère essuyer une larme. Son bébé entre à l’école. Présage qu’il lui appartient déjà un peu moins.